lundi 31 mai 2010

VINGTSEPT


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Je n'aurais jamais dû emprunter cette route. Je ne suis même pas capable de me souvenir pourquoi je m'y suis engagé. Il était tard. Tard mais il faisait encore jour, c'était le début de l'été. Il faisait un temps magnifique et c'était comme si absolument rien de mal ne pouvait arriver. Voyons les choses en face, rien de mal ne peut arriver sur terre, le mal n'existe pas, c'est une invention du cinéma américain. Enfin c'est ce que je croyais avant de prendre la départementale 78. C'était les vacances, je me suis dit je vais flâner un peu, camper sauvage, les autres m'attendront bien jusqu'à demain, j'étais au volant de ma vieille peugeot, tout allait pour le mieux. 
Je prends le chemin de traverse, la départementale 78. J'ai roulé assez longtemps, je dirais à peu près une trentaine de kilomètres, sans jamais croiser ni routes, ni maisons, ni panneaux. Et sans m'inquiéter plus que ça. Le mal n'existait pas. Puis, loin devant moi j'ai vu un type traverser la route. C'était assez loin, je me figurais qu'il aurait traversé la route le temps que je sois à sa hauteur donc je n'ai pas ralenti. Mais il s'est arrêté au milieu de la route et m'a fait face. Alors j'ai décéléré doucement et alors que j'arrivais près de lui il est passé sur le côté de la voiture qui roulait au pas et il s'est mis à marcher au pas, à côté de moi, sans un mot ni un regard.

J'aurais dû reprendre une allure normale et continuer ma route mais j'étais intrigué par l'homme. Je me suis arrêté et je suis sorti de la voiture. Il continuait à marcher alors j'ai couru pour le rattraper. Avant que j'arrive à lui il s'est retourné et m'a flanqué un violent coup de poing dans la figure et je suis tombé, évanoui. Je me suis réveillé dans une pièce sombre, humide, bétonnée, deux paillasses à même le sol avec une grosse couverture, une vieille table rudimentaire et deux chaises de celles qu'on trouve dans les écoles. Je suis assis à cette table à cet instant. Dans un coin de la pièce se trouvait un autre homme.

On n'a jamais échangé un mot. Alors que je reprenais mes esprits, deux hommes encagoulés sont entrés, l'ont emmené, sans qu'il se débatte, et ont refermé la porte derrière eux. J'ai hurlé, tapé sur les murs, la porte, fracassé une chaise contre les barreaux qui ouvraient sur ce qui semblait être un jardin de cerisiers. C'est la troisième floraison à laquelle j'assiste. Je n'ai depuis parlé à, ni entendu, personne. On m'amène à manger tous les jours, pendant que je dors. Et si je ne dors pas, je n'ai rien à manger. Si vous lisez ceci, venez me cherchez. Départementale 78.

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Musique :
  • Bernard Hermann - Overture (Main Title Theme from North By Northwest by Alfred Hitchcock)

Dessins :
  1. Marseille
  2. Nantes
  3. Marseille
  4. Nantes


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dimanche 30 mai 2010

VINGTSIX


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Qu'elle est belle... Elle aurait pu être modèle ou actrice au lieu d'être professeur... En même temps si elle avait été l'un ou l'autre je n'aurais jamais pu l'approcher comme ça. Suivre ses cours est un enchantement en soi et la retrouver après, dans son bureau, dans les couloirs, dans sa voiture, chez elle, hum... 

Flute! J'en perds le fil de ce qu'elle disait. Il faut que je fasse un peu attention, elle déteste ça quand je ne fais pas attention. Elle a un sixième sens pour ça, elle le remarque tout de suite. Et j'adore ça. Après elle me punit... Je vais faire comme si je n'écoutais pas... A moi la punition! 

Qu'elle est belle... Elle aurait pu ne jamais travailler avec un physique pareil. Elle aurait pu être tellement plus que ça aussi. Son esprit est tellement vaste, tellement affuté. Je ne sais pas ce que je préfère chez elle dans ces cas là. Est-ce sa nuque ? La finesse de ses réparties ? La chute de ses reins ? Ses chevilles ? Sa bouche ? L'étendue incommensurable de ses connaissances ? Ses goûts indiscutables ? 

Je ne sais pas si je pourrai attendre jusqu'à ce soir pour me retrouver avec elle sous la couette. Je ne sais pas si c'est ça que j'attends avec le plus d'impatience ou si c'est le verre de vin blanc frappé que l'on partagera après, tranquillement, en fumant...

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Musique :
  • Robert Palmer - Every Kind of People

Dessins
  1. Nantes
  2. Nantes
  3. Nantes
  4. Nantes


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samedi 29 mai 2010

VINGTCINQ


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J'ai quitté mon pays, mon bidonville ; la favella où j'ai grandi au milieu de mes quatorze frères et soeurs. C'était pas la joie là bas tu sais? D'ailleurs je dis mes quatorze frères et soeurs mais au début on était dix-huit. Deux sont morts dans des bagarres de quartier et un troisième a simplement disparu. Là bas, quand on voulait manger, des fois on devait manger des choses déjà mangées. Et quand Papa est mort et que Maman a disparu, on en mangeait presque tous les jours...

Je dois te rappeler comment j'ai réussi à quitter mon pays ? Le prix que j'ai dû payer pour pouvoir embarquer sur ce vieux rafiot tout pourri, tout rouillé ? Ce que j'ai dû faire pour avoir de quoi payer ma place ? Tu veux que je te le dise que mon frère qui a disparu c'est celui que j'ai vendu ? Tu veux que je te parle de tous ces dockers à qui j'ai vendu mon corps pendant cinq ans ? Des conditions dans lesquelles on a traversé ? Combien nous étions à être entassés au fond de la cale, le mal de mer qui nous prenait, comment on se vomissait les uns sur les autres tellement on était malade ?

Et une fois que je suis arrivé dans ton pays, tu sais où j'ai travaillé hein ? Et dans quelles conditions ? Tu le sais ce que ce vieux vicelard nous faisait faire à mes compadres et à moi une fois que la boutique fermait ? Tout ça pour nous protéger qu'il disait. Du chantage oui, il nous menaçait en permanence de faire venir les services de l'immigration. J'aurais jamais accepté de servir de femme pour tous ses clients sinon. Ni de travailler pour une paie encore plus misérable que celle que j'avais en faisant la pute sur le port avant de partir.
Alors ? Tu veux bien m'épouser maintenant que j'ai fait tout ça pour toi ?


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Musique :
  • Arcade Fire - Brazil

Dessins :
  1. Nantes
  2. Barcelone
  3. Barcelone
  4. Barcelone


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vendredi 28 mai 2010

SIORTTGNIV (a.k.a. VINGTQUATRE)

"Vas y!". Quatorze "pour", zéro "contre". Et ce dernier "pour" comptait plus que tous les autres puisqu'il venait de sa meilleure amie qui aurait "tué pour accepter une telle proposition" : tenir un rôle de moyenne importance dans une énorme production américaine - tous euphémismes et pléonasmes entendus - un rôle qu'elle était sensée jouer "mal", le réalisateur voulant ainsi sacrifier un de ses personnages en hommage aux productions fauchées des années soixante. Et il semblait que les quelques stars établies auxquelles le rôle avait été proposé étaient sorties en claquant la porte (et le réalisateur pour au moins deux d'entre elles). 
Le rôle accepté, elle pris les dispositions nécessaires avant son départ. Il s'agissait d'une production étalée sur six mois, on réclamait sa présence du début du tournage à la fin de la post production et jusqu'à la première au Grauman sur Hollywood Boulevard. Des étoiles pleins les yeux, ses amis avaient bien du mal à cacher leur jalousie les semaines précédant son départ, jusqu'au tout dernier soir lors de la fête qu'ils lui organisèrent. On échangea les verres et les promesses rituelles mais elle sentait bien que sa place était chère, ce qui, finalement, la confortait dans sa décision.
La production lui finançait l'intégralité des dépenses occasionnées pour se rendre sur les lieux du tournage puis à Los Angeles et retour chez elle. Elle prit donc l'avion pour se rendre à la capitale et prendre ensuite un long courrier. C'était la première fois qu'elle montait dans un avion. Et il y aurait de nombreuses premières fois jusqu'à son retour. Elle allait côtoyer les plus grandes stars américaines (et même mondiales), tourner avec un des réalisateurs les plus en vue sur la planète, visiter des endroits mythiques... Elle était aussi excitée à ces idées qu'on peut l'être mais une dernière chose continuait de l'inquiéter...
...quelque chose qui n'était pas tout à fait réglé. Pour accepter ce rôle elle avait dû finalement en refuser un autre. Rien de comparable, un premier rôle sur scène dans une petite pièce. Elle avait proposé à son amie et colocataire de la remplacer, arguant du fait qu'elle connaissait le rôle aussi bien qu'elle pour l'avoir fait répéter. Juste avant d'embarquer sur le vol transatlantique, elle reçut un dernier message sur son téléphone lui disant que l'affaire était conclue, elle avait le rôle. Elle s'endormit, pleinement rassurée.

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Dessins :
  1. Barcelone
  2. Barcelone
  3. Barcelone
  4. Barcelone


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jeudi 27 mai 2010

VINGTTROIS

Somme toute, le tournage s'est bien passé, en regard de ce qu'on lui a demandé : sacrifier sa carrière. Elle était débutante dans le métier, personne ne la connaissait, exceptés quelques directeurs de casting à la mémoire longue et deux ou trois, trois, apprentis réalisateurs qui cacheront leurs court-métrages une fois que ce film sera sorti sur les écrans et défraiera la chronique. C'est donc avec douceur qu'elle s'est endormie dans l'avion durant le trajet qui la ramenait d'Hollywood, Los Angeles où vient d'avoir lieu la première.
Elle dut encore emprunter un petit bimoteur à hélice pour la ramener de l'aéroport international à chez elle. Elle était riche maintenant. Riche et désoeuvrée. Mais les riches ne le sont ils pas tous? Les avis récoltés à la sortie du film était tels qu'ont pouvait s'y attendre. La réussite du cinéaste était totale. Sa vision de la guerre au cinéma était violente et burlesque, de la même façon que ses films précédents étaient violents et burlesques. Et son personnage à elle y était parfaitement inutile et objectivement mal joué. Ça faisait partie du contrat. Tu joueras mal, exprès, c'est un hommage aux mauvais films, de la même manière que toutes les autres scènes sont des hommages aux bons.
En arrivant chez elle, elle aperçoit tous ses amis du cours de théâtre qui l'attendent en bas, dans le square qui jouxte l'immeuble où elle habite. Elle pourra bientôt emménager dans un luxueux loft comme elle en rêve depuis qu'elle a quitté ses parents. Tous ont l'air impatients de l'entendre raconter son expérience auprès de toutes ces stars hollywoodiennes. Curieusement c'est en voyant leurs visages ouverts, curieux, enthousiastes qu'elle se rend compte à quel point elle avait été naïve. Elle ne peut se résoudre à affronter la joie de ses amis et file en cachette jusqu'à son appartement.
Plus tard dans la soirée, sa colocataire, sa meilleure amie, rentre de la représentation où elle tenait le premier rôle depuis que toute cette histoire a commencé. Elles échangent leurs expériences avec la fatigue qu'endurent les artistes vidés par la scène d'un côté et l'amertume de la star montante et déchue dans un même mouvement de l'autre - Le ressentiment qu'aurait dû devoir la deuxième à la première ne tardera pas à remonter à la surface...

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Dessins :
  1. Barcelone
  2. Barcelone
  3. Barcelone
  4. Barcelone

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mercredi 26 mai 2010

VINGTDEUX

Le voyage jusqu'à la frontière s'était déroulé sans problème. Il n'avait pas été repéré. Il avait profité de la première étape de l'express, en plein milieu de la nuit, pour se dégourdir les jambes et surtout pour se changer. La vieille dame qui était recherchée était redevenue un homme d'une trentaine d'années à l'apparence banale et quotidienne. Il avait choisit de ne pas prendre de place couchette pour garder un oeil ouvert sur les allées et venues des passagers à bord du train. 
L'un d'eux particulièrement qui avait attiré son attention depuis le départ, alors qu'il était encore déguisé. Lorsqu'il était descendu au milieu de la nuit, il était remonté à bord à une place et sous une identité différentes mais ce passager avait également changé de place, comme s'il le suivait. Il était maintenant devant lui, sur un siège lui tournant le dos dans la rangée en face de la sienne. Il ne voyait que ses jambes repliées, les genoux appuyés sur le dossier du siège devant lui. Il ne pouvait donc voir ce qu'il faisait.
Cela suffit à le perturber. Il passa le reste du trajet l'oeil ouvert, soupçonnant tout et tout le monde, craignant pour sa couverture. Lorsque le train arriva enfin à destination, il attendit que tout le monde soit sorti. Le passager suspect sortit en dernier et cela ne fit qu'augmenter son inquiétude et ses soupçons. Il décida de le suivre. Il sortit de la gare par la porte principale et pris un taxi garé en file d'attente. L'agent X27 pris un taxi juste derrière et demanda au chauffeur de suivre le taxi qui venait de démarrer.
X27, reconnaissant les rues et les immeubles de son propre quartier de résidence cessa soudain d'être inquiet, la vue de son univers le rassurait. Ce n'est que quand le taxi devant lui s'arrêta devant chez lui et que le passager suspect en sortit, que son inquiétude se mua en terreur. Le passager était vêtu comme lui, avait la même taille, le même visage que lui ; et il se dirigeait vers Sa résidence, vers Sa femme qui l'attendait en haut des marches...

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Dessins :
  1. Nantes
  2. Nantes
  3. Nantes
  4. Nantes

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mardi 25 mai 2010

VINGTETUN


Dévastée. La grande place du centre de la ville était totalement dévastée. Des vitrines avaient été fracassées et les magasins pillés. Les terrasses des cafés de la place et des rues environnantes avaient été saccagées. Le sol de tout le centre ville était jonché de détritus, de bris de verre, de tôles froissées, des restes des abribus et des panneaux d'affichage... Tout ce qui pouvait être détruit, arraché du sol, cassé ou détérioré l'avait été dans la nuit. On aurait pu croire qu'un ouragan ou un tremblement de terre avait secoué la ville.

Les journaux du matin titraient tous sur la fête qui avait dégénéré et les bandes qui avaient ravagé les commerces du centre ville. Le commissaire Clouseau était chargé de mettre la main sur les organisateurs afin de déterminer leurs parts de responsabilité et de fixer, d'une manière ou d'une autre, un moyen de réparer les torts causés à la ville et à ses habitants. Dans la matinée, son équipe de bras nickelés avait arrêté et mis en garde à vue une dizaine de jeunes gens, tous suspectés d'avoir participé à l'organisation de cette grande soirée.

Ils étaient là dans le hall du commissariat, menottes aux poignets, lésions et hématomes au visage et aux bras, vêtements en lambeaux. Tous avaient ce sourire benêt et ce regard complice lorsqu'ils se lorgnaient du coin de l'oeil. Après quelques heures d'interrogatoire, le commissaire Clouseau dut les remettre en liberté faute de preuve à retenir contre eux. A la vérité, l'organisation de la soirée ne prévoyait pas une telle dégénérescence et tous s'accordaient pour dire qu'une seule et même personne, extérieure au groupe, avait effectivement exhorté les jeunes gens rassemblés à tout casser sur leur passage. 
Les descriptions concordaient toutes pour parler d'une vieille dame avec un fort accent germanique ou slave. Après enquête elle avait été vue pour la dernière fois à la gare centrale mais personne ne pouvait dire si elle avait effectivement pris un train ou non.
Dans l'express qui le ramenait vers la frontière, l'agent X27 préparait mentalement le rapport qu'il devrait remettre le lendemain sur cette opération et sur les suites qu'il envisageait déjà.

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Dessins :
  1. Nantes
  2. Nantes
  3. Nantes
  4. Nantes

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lundi 24 mai 2010

VINGT

Ca commence comme dans un vieux conte pour les enfants. J'avance dans un long couloir très lumineux ; au fond : un point noir. A mesure que j'en approche, je distingue ce qui s'y trouve. Il y a une porte ouverte sur un autre couloir et un escalier qui grimpe sur la gauche en faisant un coude. Le couloir qui prolonge l'entrée est noir mais une lumière éclatante provient de l'étage où mène l'escalier. La lumière est si forte que je ne parviens même pas à distinguer quoi que ce soit de l'escalier au delà des quelques premières marches. Je grimpe les marches, une à une, lentement. L'appréhension me force à regarder alternativement en haut et en bas. 

Je quitte la lumière pour la lumière mais celle qui m'attends est tellement aveuglante que je cherche à tâtons pour être sur de ne pas mettre un pied dans le vide. Cela fait un moment que je monte ainsi une marche après l'autre quand soudain, les marches cessent, l'escalier cesse de monter. Je semble être parvenu à un pallier. L'escalier grimpait en colimaçon et le couloir qui le prolonge tourne également sur lui même. Malgré tous mes efforts mon esprit ne parviens pas à imaginer la géométrie de l'ensemble. Je fini par me voir dans un dessin de Escher. Puis je bute dans quelque chose qui s'avère être une paire de jambe. Je relève la tête pour voir un homme endormi, adossé à un siège, du type de ceux qu'on voit dans les trains.
Il dort, ne semblant nullement dérangé dans son sommeil par la lumière qui est toujours aussi aveuglante. Je contourne l'obstacle que forment ses jambes et me retrouve à avancer à reculons dans le couloir, si bien que je tombe à la renverse en arrière, trébuchant sur un autre homme, endormi lui aussi, assis par terre, ses jambes allongées sur le sol. Ma chute ne le réveille pas. Il a l'air comme assommé par toute cette lumière. Moi même je sens que le sommeil me gagne. Je me relève péniblement, me tenant aux parois pour m'aider à me maintenir debout. Je reprends ma progression le long du couloir qui tourne de plus en plus serré. Je finis par arriver à une sorte de minuscule pièce circulaire baignée de rouge. Le plafond est bas et le sol est recouvert d'une épaisse paillasse couverte de velours d'un rouge qui éclabousse toute la pièce, atomisé par la lumière.
Je me réveille sur Son lit à Elle vers 15H quand, par le grand vasistas, le soleil inonde cet endroit de la chambre tous les après midi.

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Dessins :
  1. Nantes
  2. Nantes
  3. Barcelone
  4. Barcelone

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dimanche 23 mai 2010

DIXNEUF

Depuis que je ne travaille plus, je dors de plus en plus. Chaque instant, chaque endroit m'est propice au sommeil. Je dors quand la petite famille se réveille, je dors en m'occupant des enfants, je dors quand les enfants ne veulent pas dormir, je dors encore quand Elle rentre du travail. Ce n'est que lorsque toute le monde est enfin endormi que je m'éveille, poussé par une force impérieuse qui m'oblige à faire tout ce que je n'ai pas fait durant le jour. La maison dort alors je fais tout cela aussi près du silence que possible, dans un souffle, les sens aiguisés, doués d'une acuité exacerbée par cette nécessité. lorsqu'enfin je La rejoins dans le lit conjugal, un grognement m'accueille qui me dit qu'il est encore trop tard.
Depuis que je ne travaille plus nous habitons un petit pavillon bâti à la-va-vite dans les années soixante sur le terrain humide d'un petit village de bord de mer, à cent lieues de tout lieu. La mer rugit à quelques centaines de mètres de la maison, féroce et violente lorsque elle se fracasse sur les côtes escarpées dont la simple vue abolit l'idée de baignade. Je me trouve ici comme rangé dans un coin de tête du monde, comme mis là, en attendant, comme ces idées qu'on garde pour plus tard et qui finissent par périr, oubliées faute d'être visitées.

Depuis que je ne travaille plus, je ne réfléchis plus. Je perds mes cheveux aussi, par brassées. Et depuis que je ne travaille plus j'ai un chat. Elle me l'a ramené "pour me tenir compagnie" puisque c'est "le seul être vivant sur cette terre qui vive au même rythme que toi". Le chat, il est bleu. C'est une chatte d'ailleurs. Une chatte bleue. Pas un chartreux hein, non. Une chatte bleue, bleue. Bleue comme une Opel Kadett, métallisée. Dès le début de notre cohabitation, le félin a entrepris de me suivre partout, de copier le moindre de mes gestes. Surtout, elle a pris l'habitude de lécher régulièrement le sommet de mon crâne déplumé. Et miracle, ça a commencé à repousser.
Le problème - enfin je dis problème, pas tant que ça finalement puisque tout semble dans l'ordre aujourd'hui - c'est que ce ne sont pas des cheveux qui ont poussé. Ce sont des poils. Des poils bleus, métallisés. Depuis que je ne travaille plus, je dors de plus en plus, je vis dans un coin de tête, je ne réfléchis plus, je perds mes poils et je suis devenu un chat. Un chat bleu, métallisé.

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Dessins :
  1. Barcelone
  2. Barcelone
  3. Barcelone
  4. Barcelone

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samedi 22 mai 2010

DIXHUIT

Je me souviens, c'était un jour de printemps, très doux. Barcelone était grise. J'étais là pour une quinzaine, en vacances chez des amis. C'était un jour de semaine parce que je l'ai visité seul : le Parc Güell. Je suis arrivé par les maisons de garde, ces deux pavillons qui se font face. L'accumulation débridée de formes, de matières, de couleurs aurait du heurter ma culture de français stressé mais immédiatement j'ai eu l'impression d'entrer dans un pays de rêve ; une impression qui s'est renouvelée à chaque visite.
Je me souviens avoir aperçu, au dessus d'une petite forêt de pins, le clocher de la demeure qu'occupait Gaudi  avec son père et sa nièce. J'aimais l'idée qu'il ait vécu dans ce même parc avec sa famille, jusqu'à la fin de ses jours. J'appris par la suite qu'il s'agissait d'une maison témoin sensée inciter les familles de la cité à s'installer ici. L'histoire de la réalisation du jardin augmentait encore les rêves générés par la simple vue de tous ces paysages : aucun angle de vue n'y ressemblant à un autre. L'envie de vivre là éternellement était plus prenante ici que dans aucun lieu que j'avais pu connaître auparavant.
Curieusement, ce n'est pas l'idée d'un jardin d'Eden retrouvé qui donnait cette envie. Bien plutôt l'étrange sentiment que ce pays de rêve n'était pas éloigné d'un pays de cauchemar. Et c'est cette ambiguïté qui était tellement séduisante, excitante. A tel point que lors de cette première visite, mes sens étaient aux aguets, prêts à être surpris par tout ce qu'ils expérimentaient et j'étais surpris malgré cette appréhension. La vision de la Grande Place, qui surplombe la forêt de colonnes, avec son banc de mosaïques ondulant sur une distance interminable et sa terrasse en surplomb et ses allées de palmiers m'achevait. 
Je ne suis plus jamais parti.


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Dessins :
  1. Barcelone
  2. Barcelone
  3. Barcelone
  4. Barcelone

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vendredi 21 mai 2010

DIXSEPT

C'est ici que j'habite, on peut dire que j'ai de la chance.
Deux jours plus tôt, je trainais ma misère dans la ville basse.
Chassé de chaque trottoir où je tentais de me faire une place. 
Je suis venu sur les hauteurs de la ville, c'était ma transhumance...
On m'avait dit : "tu verras, là bas, il y a du monde du monde entier
Et toutes sortes de constructions géniales, étranges et colorées"
De tous les endroits que j'ai visités, où j'ai vécu, je suis toujours parti.
Mais d'ici, jamais je ne bougerai. C'est un endroit pour finir sa vie.
De tous les pays il vient des crétins et des gentils, mais les gens vont et viennent
L'endroit vaut plus pour les espaces qu'il offre à quelqu'un comme moi pour se divertir
Parce que les gens, crétins ou gentils, ils finissent toujours par vous faire de la peine
Ici, pas de peine. Dans les cascades, au soleil, à l'ombre, je peux danser, sauter, courir. 
Et tomber amoureux...

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Dessins :
  1. Barcelone
  2. Barcelone
  3. Barcelone
  4. Barcelone

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jeudi 20 mai 2010

SEIZE


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Je suis sorti du cinéma un peu hagard. Il était à peine quatre heures de l'après-midi et la chaleur étouffante de juillet, le soleil plombant, l'absence totale d'air me donnaient le tournis à une heure où je fais habituellement la sieste sur ma terrasse. J'habite Barcelone depuis une dizaine d'années et je vis à l'heure de la cité. Après un déjeuner tardif et léger j'ai l'habitude de passer quelques heures au frais, attendre que la ville redevienne accueillante pour y risquer ma blondeur nordique. Je trainais mon hébétude jusqu'à un banc de pierre, à l'ombre d'un palmier, au bout du Passeig de Sant Joan.
Je ne voulais pas aller voir ce film. Je me méfie des films étrangers - étrangers à Barcelone - qui traitent de ma ville. Mais j'avais une bonne raison, une raison d'un mètre soixante dix, brune et flamboyante aux yeux noirs et brillants comme une nuit de pleine lune. Maintenant que je suis sorti, je dois bien reconnaître que ma belle raison m'a posé un lapin. Du coup j'ai vu le film seul, espérant au début qu'elle surgisse puis finissant par oublier son absence devant les images qui me parlaient plus que je ne m'y attendais, tant elles me racontaient. 
Je décide de faire un tour sur les bords de mer pour me changer les idées et m'aérer un peu. A Barcelone, par un jour sans vent, rien de mieux qu'une balade sur le front de mer, toutes fenêtres ouvertes. "Under the milky way tonight" des Church pour accompagner le voyage. La vue, la musique raniment le souvenir du film. Je retrouve en vue réelle les endroits où différentes séquences ont été tournées. Je remonte comme ça la côte vers le nord, jusqu'à Vilassar de mar. Puis je fais demi tour pour rentrer. J'ai envie d'être chez moi, de boire un verre dans mon hamac, sur ma terrasse, mon chat sur le ventre. Pour un peu j'aurais froid. Je remonte même un peu les glaces jusqu'ici grandes ouvertes de ma vieille guimbarde. 
Je ramène la voiture au parking couvert où j'ai un emplacement à l'année. Je remonte les rues de Barceloneta, longe Santa Maria del Mar, suis quelques passages piétonniers puis arrive dans mon vieux, très vieux quartier. J'y retrouve avec bonheur les hauteurs destructurées des immeubles qui procurent cette ombre si particulière, presque humide. Ces rues pavées de larges dalles beiges, ces arbres qui poussent tellement cachés du soleil, ces petites terrasses où deux trois chaises sont jetées auprès d'une ou deux tables et nulle enseigne ne vous rassure sur la présence d'un cafetier. J'aime surtout ce que je vois en bas de mon immeuble, ramassé sous le porche, caché dans une marinière informe. Ma belle raison d'un mètre soixante dix...

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Musique :
  • The Church - Under The Milky Way
Dessins :
  1. Barcelone
  2. Barcelone
  3. Barcelone
  4. Barcelone

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mercredi 19 mai 2010

QUINZE

Séquence Un - Extérieur, jour :  Une sorte de gymnase ou d'enceinte sportive. Le jour s'achève, sombre, nuageux. Sort du stade une escouade de jeunes garçons âgés de quinze/seize ans. Ils se chahutent, crient , rient. A leurs cheveux mouillés on comprend qu'ils sortent de l'entrainement et probablement des douches. Un ballon de football qui passe de pied en pied nous indique le sport qu'ils ont pratiqué. La caméra suit un des jeunes garçons qui se détache du groupe, poussant du pied droit le ballon et qui rejoint une route déserte. 
Séquence Deux - Extérieur, Nuit : La caméra est subjective, nous sommes le jeune garçon qui pousse le ballon dans la Séquence Un. Il nous emmène vers un drôle de véhicule qui a attiré son/notre regard. Une voiture qui ressemble à ces pick-ups américains qu'on voit sur les routes désertiques des films qui se passent au Mexique. La peinture en est rouillée et écaillée et de drôles de fanfreluches en ornent les vitres latérales et le pare-brise. La portière va s'ouvrir et le jeune garçon, toujours en subjectif, s'installer sur le siège du passager. La camionnette s'éloigne dans un nuage de poussière sur une route cabossée et rocailleuse.
Carton intercalaire Un : Le lendemain
Séquence Trois - Extérieur, jour : Un cargo s'éloigne sur la mer, sous le soleil levant. Le bateau est sur-exposé sur l'image, on le distingue à peine sur la mer qui miroite : Il navigue plein ouest. En off, on entend la chanson de Boris Vian : "Barcelone". "Barcelone, Des pavés, du soleil, des visages, Un été plein d'images, Et de fleurs. Barcelone, Dans le port un bateau qui s'amarre, Le bourdon des guitares, Et mon coeur... " Fondu au blanc.
Séquence Quatre - Extérieur, jour : L'image s'ouvre sur le bord de mer. On suit, de dos, le jeune garçon des séquences Un et Deux en travelling. On le suit comme s'il venait de la mer. Nous sommes sur la plage. Le soleil se lève. Il marche, toujours poussant du bout du pied son ballon. En off, la chanson "We're from Barcelona" du groupe I am from Barcelona : "We'll aim for the stars, We'll aim for your heart, When the night comes..." Petit à petit, comme le jeune garçon avance vers la végétation, la caméra monte par dessus son épaule et fini par dominer le site. On aperçoit les flèches de la Sagrada Familia. La caméra s'arrête ainsi en hauteur. Le jeune garçon finit par rentrer dans le champs, de dos, on voit sa nuque, marchant toujours après son ballon, se dirigeant vers la ville. Fondu au noir sur "And we'll bring you love, you'll be one of us, When the night comes, Na na na na na na na na na na..."

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Musiques :
  1. Boris Vian - Barcelone
  2. I'am From Barcelona - We're From Barcelona (live from "Concerts à emporter" de la Blogothèque)

Dessins :
  1. Pays-Bas
  2. Pays-Bas
  3. Pays-Bas
  4. Barcelone


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