Depuis quelques jours je n'arrive plus à écrire. Le printemps s'est installé dans les rues de la ville et je parviens pas à me concentrer sur l'écran de mon vieil ordinateur portable. Le chat et moi tournons en cercles concentriques dans l'espace délimité par le canapé, la bibliothèque et les deux fenêtres qui se font face dans le salon de l'appartement qui me sert aussi de bureau. La lumière traversante nous a tous deux transformés en lions en cage. En lionnes... Donc, ce matin, je suis sortie. J'ai branché ma machine à la terrasse du café des plantes - ils ont des banquettes tellement confortables - j'ai commandé un grand thé au citron, une part de tarte aux pommes et subitement ; mes doigts ont commencé à courir sur le clavier, comme mus par une force supérieure.
"Qu'est ce que vous écrivez?" J'étais extatique. Comme portée par une grande symphonie. Une musique tellement haute, envolée, légère et audacieuse que je me sentais affranchie de l'attraction terrestre. Mes doigts volaient de touches en touches, l'inspiration me venait par grandes vagues, comme la mer qui s'engouffre dans un estuaire lors des grandes marées d'équinoxe. J'ai dû passer pour une folle possédée aux yeux des autres clients. "Qu'est ce que vous écrivez?" Un instant plus tard, la musique s'arrêta. Pas la musique qui me soulevait de terre juste auparavant, non, la musique qui venait du kiosque encore encombré de tous les instruments d'un orchestre symphonique miniature et à laquelle je n'avais pas jusque là prêté attention. Du moins, me semblait-il. "Qu'est ce que vous écrivez?"Il me dévisageait au travers des carreaux de ses lunettes à grosse monture de plastique. Elles lui donnaient un regard étrange, pénétrant, en même temps qu'une allure burlesque que sa coiffure en bataille et ses vêtements colorés accentuaient. Comme je finissais par reprendre connaissance, je lui demandai poliment ce qu'il désirait. Il resta silencieux, assis, me scrutant intensément. J'allais me replonger dans mon travail mais il finit par dire "qu'est ce que vous écrivez?". Sa voix était curieusement enfantine. Enfantine et électrique, comme si elle passait à travers un micro ou un amplificateur. "Qu'est ce que vous écrivez". La réponse aurait dû me sauter aux lèvres mais rien ne sortait. J'étais comme anesthésiée par le flot de mots qui m'avait submergée quelques minutes auparavant et le son de sa voix si particulier. Me sentant un peu perdue, je décidai de reprendre mon texte où je l'avais laissé. Mes doigts reprirent leur course sur le clavier, comme si rien ne s'était passé.
"Qu'est ce que vous écrivez?" La question fusa à nouveau et je levai les yeux. L'homme burlesque avait disparu. A sa place se tenait une dame que je finissais par identifier comme la libraire que je visite de temps en temps à deux pas de chez moi. "Ce que j'écris?" dis-je. Je regardai mon écran pour y lire la réponse et m'apercevoir qu'il était éteint.
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