jeudi 13 mai 2010

NEUF

François, facteur de son état, contemplait, avec amertume, ce qu'il avait coutume d'appeler "sa campagne". De son chez lui, une vieille bâtisse de pierres et de brocs sise à flan d'une colline qui aurait adoré être, sinon une montagne, au moins un de ces volcans qui paradent dans la région, il dominait la dite campagne qui correspondait peu ou prou à son territoire de livraison. Le matin même il avait effectué sa dernière tournée et il ne pouvait s'empêcher de trouver cet excès de paysage totalement inutile. Il se trouvait d'ailleurs à peu près aussi inutile. 
Curieusement, par un obscur sentiment de solidarité, "sa" campagne se sentait elle même hors d'usage. Il suffisait de la regarder : ses chemins étaient déserts, les ramures des arbres et des pins étaient vides d'oiseaux, les fougères, les feuilles, les fleurs restaient figées comme sur une toile d'Henri Rousseau ; pour voir qu'elle criait son soutien à François, qu'elle clamait, comme lui, son droit au chômage. François reçut cet hommage avec bonheur et envisagea de rendre à son paysage l'usage que la maisonnée lui donnait avant son arrivée et de faire revenir les moutons dans la bergerie.

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Assez loin de là, au même instant, Julie contemplait avec la même amertume son studio. La vue du studio aurait rempli d'amertume François le facteur et même quiconque aurait entreprit de le contempler. L'amertume de Julie n'était donc ni feinte ni liée à un quelconque état dépressif. Julie, par ailleurs enjouée et fantaisiste, occupait le studio d'une amie le temps de terminer un court stage de secrétaire médicale dans un grand hôpital de la région parisienne - On se demande souvent qui peut bien suivre ces formations pour devenir secrétaire médicale, ce qui peut bien faire la particularité, les difficultés, d'une telle fonction qui puisse nécessiter une formation spécifique. Et bien Julie est, en soit, une réponse à cette question.
Et Julie se sentait amère à contempler ce bout d'appartement, pour ce qu'il lui racontait de son futur : la ville, le monde, un travail aliénant entouré de gens malheureux ou simplement malades. Telle une campagne auvergnate, le studio clama son soutient à Julie. Une panne de secteur coupa en un instant la lumière, la radio et les deux ordinateurs qui étaient allumés. Dans le noir et le silence, Julie aurait pu jurer qu'elle avait entendu bêler un mouton.

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Dessins
  1. Nantes
  2. Nantes
  3. Nantes
  4. Nantes


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