mercredi 30 juin 2010

CINQUANTESEPT


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Cela faisait deux semaines qu'il pleuvait sans discontinuer. En cette période de l'année la pluie n'avait rien d'exceptionnel mais les averses ne s'arrêtant pas, les habitants de la cité commençaient à perdre patience. A force de marcher courbés, ils se rentraient fréquemment dedans ; à force de rouler tous feux allumés, leurs yeux perdaient de leur acuité. Aussi les rixes devenaient monnaie courante et la police elle même devenait nerveuse. Finalement, la météorologie semblait avoir raison de la raison elle même. C'est dans cette ambiance qu'arriva à El Morocco : Grand Ignacio.
Grand Ignacio tirait son surnom autant de sa taille que de son coeur - façon "dur au coeur tendre", on aurait aussi bien pu l'appeler "mollet" ou "cocotte", il imposait pourtant autour de lui un silence fait d'appréhension voire de crainte. Grand Ignacio sortait de prison. Il avait purgé sans frémir  les trois années que le juge lui avait infligées et, sorti depuis deux semaines, payait une visite au banc de l'accusation en goguette dans son fief. Sorti depuis deux semaines, Grand Ignacio avait sur le visage le reflet des averses qui noyaient la ville : creux et bosses accentués par les ombres menaçantes qu'un nuage noir portait sur eux
Le contraste entre l'absence de lumière dans les rues - de jour comme de nuit, les nuages mettaient un terme à toute velléité d'éclairage naturel - et les néons criards qui habillaient les murs de l'El Morocco forçèrent Grand Ignacio à courber la tête et mettre sa main à plat au dessus de ses yeux pour atténuer la douleur que cette lumière lui causait. Après trois années d'obscurité carcérale, la lumière était devenue son ennemi intime. Le résultat fut qu'à son entrée, les regards qui se posèrent sur lui ne reconnurent pas celui qu'ils avaient poussé derrière les barreaux trois ans plus tôt. Ce qu'ils virent c'était plutôt un nouveau client, un peu voûté, sûrement aveugle.
Ce que Grand Ignacio finit par distinguer, à travers ses paupières plissées sur ses yeux stressés, le rendit tellement malheureux qu'en plus de la lumière qui inondait son visage, des larmes vinrent couler, se mêlant à la pluie qui commençait à y sécher. Comment faire concilier l'image qu'il avait gardée de ses accusateurs avec ceux qu'il avait sous les yeux, tous plongés dans une introspection morbide. Grand Ignacio fit demi-tour, reprit sa moto et rentra chez lui, sous la pluie battante.

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Musique :
  • DJ Muggs - Rain

Dessins :
  1. Mahdia
  2. Mahdia
  3. Mahdia
  4. Mahdia


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mardi 29 juin 2010

CINQUANTESIX


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Ce soir j'ai rendez vous avec une fille. Je ne la connais pas. Ils n'ont même pas voulu me dire son nom. Ils ? Des amis à moi qui en ont marre de me voir trainer ma misère chez eux quand ils dînent en famille. C'est à dire tous les soirs... Je ne sais pas trop comment ils se sont débrouillés mais ce que je sais c'est que je dois la retrouver ce soir, qu'elle me reconnaîtra, que tout ce que j'ai à faire c'est d'être propre et gentil et moi-même. Je vois difficilement comment je vais pouvoir être moi-même en étant propre et cette pensée m'angoisse. Je sens la sueur couler au creux de mon dos. Je vais reprendre une douche pour être sûr.
Ils m'ont dit d'attendre le long de la jetée qui longe la plage près du centre de la ville. Alors j'attends le long de la jetée qui longe la plage près du centre ville. Mais ces crétins ne m'ont pas dit à quel endroit attendre. La jetée coure sur plus de trois kilomètres. Et le putain de centre ville, c'est la jetée. Alors j'arpente. Et je sens bien qu'avec la chaleur de la soirée, l'angoisse qui revient, la sueur coule à nouveau. Deux aller-retours et j'ai l'impression d'avoir pris un bain de vapeur. Et toujours personne qui m'arrête...
Je commence à faire attention aux gens. Enfin, aux filles... Un simple regard suffit généralement pour voir à quel point je ne suis pas intéressant. J'ai beau être propre, mes vêtements collent à ma peau, mes cheveux sont plaqués, comme gominés, ma démarche est tremblante, fébrile. J'avance et à chaque pas je me dis que je dois être le célibataire le plus pathétique de la ville, du pays, du monde. Je cherche comment c'est possible puis je me rassure. Si mon père à rencontré ma mère, il n'y a pas de raison que je ne puisse pas moi aussi rencontrer la mère de mes enfants. Enfin, si, je ne voudrais pas rencontrer ma mère...
Puis la nuit tombe. Mon rendez vous est manqué. Je ne saurai même pas si c'est un lapin ou si la fille m'a vu et a tourné casaque. Je vais me baigner. Je laisse mes vêtements trempés de sueur sur le sable. Je coure vers les vagues, plonge la tête la première, ressort la tête de l'eau, fais la planche et me laisse porter un peu par le courant. Lorsque je retourne sur la plage, mes vêtements ont disparu. Je remonte la plage, peut être ai-je dérivé. Mais non, impossible de remettre la main dessus. Je rentre chez moi, en caleçon, sans mes clés.

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Musique :
  • Pulp - Razzmatazz

Dessins :
  1. Mahdia
  2. Mexico
  3. Mexico
  4. Mahdia


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lundi 28 juin 2010

CINQUANTECINQ


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Je rêve de raconter parfois la simple histoire d'un endroit. Comme s'il pouvait, seul, raconter les événements dont il a été témoin. Ce serait simple, objectif : tel jour, telle heure, après la pluie, une telle, chaussée d'escarpins noirs à talons aiguilles, a traversé d'un pas léger et rapide. Elle a retrouvé un homme chaussé de sandales à talons plats et ses pieds ont quitté le sol quand elle s'est jetée dans ses bras. Le feu des piétons est passé au rouge et celui des voitures au vert et les voitures ont démarré. La première à leur passer devant, une petite voiture, de celles qu'ont les étudiants comme premier véhicule, les a éclaboussés tous les deux.
Ou alors la façon dont un endroit, une chose, serait devenue ce qu'elle est. Comment il s'est construit. D'où venait la pierre qui supporte la clé de voûte qui soutient la charpente sur laquelle repose le toit ou se posent les oiseaux? Qui a porté la pierre, qui l'a soudée aux autres? Tant et tant d'événements qui participent à la construction, l'édification. Une histoire n'est rien d'autre que la juxtaposition de ces évènements. Une histoire n'est rien d'autre que ce que des hommes ont fait, comment ils l'ont fait et comment ce qu'ils ont fait permet à un oiseau de se poser un instant dessus. 
Je pourrais pendant des heures faire défiler des gens. Simplement les regarder, les donner à voir, les laisser raconter, avec ce qu'ils montrent, les histoires qui les traversent. Lui, avec son sac en bandoulière, la sueur qui dégouline de ses cheveux, il a couru. Elle, juste derrière lui, qui le regarde, avec un léger dégoût, puis qui respire ses propre aisselles en faisant attention de ne pas être observée. En face là, cet homme avec un petit garçon qui lui tire le bas de la chemise, il réclame, il veut quelque chose. Lui ne l'écoute pas, il parle au téléphone. Tant et tant d'histoires....
Mais je préfère regarder la télévision.

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Musiques :
  1. The Ned's Atomic Dustbin - Kill Your Television
  2. The Disposable Heroes Of Hiphoprisy - Television, The Drug Of Tthe Nation

Dessins :
  1. Mexico
  2. Mexico
  3. Mexico
  4. Mexico


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dimanche 27 juin 2010

CINQUANTEQUATRE


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La lumière. La première fois que je suis arrivé à Mexico, il y a sept ans, c'est la première chose qui m'a frappée : la lumière aveuglante au dessus de la cité. Une lumière céleste qui fait apparaître un dôme grisâtre au dessus de la ligne d'horizon qui découpe la ville sur le ciel. J'arrivais de Vera Cruz où un petit bateau de pêche m'avait débarqué après m'avoir pris à Cuba. J'avais fait la plus grande partie du trajet en stop, privilégiant l'anonymat de la compagnie des paysans à celui de la compagnie des chemins de fer.
La chaleur étouffante. Quand on passe les portes de la mégapole et qu'on pénètre dans le dôme qui pèse sur elle, la chaleur est décuplée, elle devient lourde. Son poids se ressent sur les épaules de chaque habitant. On les voit ployer sous l'effort le plus simple, comme monter un escalier ou simplement se lever d'une chaise. J'ai vite pris le rythme : lever aussi tard que la chaleur le permet, une première douche, glacée, un petit déjeuner consistant, à leur manière, fait d'oeufs fris, de pain, de saucisse épicée, une autre douche glacée puis se recoucher jusqu'au soir, quand la chaleur se fait plus légère.
Pas moins chaude, juste plus légère. Le soleil de la journée n'entre pas dans la ville. Il reste au dessus, il chauffe le dôme. Aussi le soir, quand il se couche, la chaleur se fait plus légère et l'on peut ainsi se lever sans effort... enfin, plus facilement. Et le soir je me lève de ma sieste, je reprends une douche et je sors. Je fais toujours le même parcours. Je longe les quelques rues qui séparent mon immeuble de l'arrêt de bus le plus proche et je fais mon parcours, relève les boites aux lettres, laisse des messages. Je termine toujours au même endroit où je retrouve les quelques amis qui assurent ma couverture.
Encore trois ans et j'aurais une promotion. Encore trois ans et je pourrais aller m'installer à Los Angeles pour monter un autre réseau.

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Musique :
  • The Doors - The Spy

Dessins :
  1. Mexico
  2. Mexico
  3. Mexico
  4. Mexico


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samedi 26 juin 2010

CINQUANTETROIS


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J'ai vingt ans et je ne veux pas dormir. Je pense. Je passe la plus grande partie de mes nuits à ne pas dormir et à imaginer ma vie, celle passée et celle à démarrer, celle qui commence demain. Je pense que tous les hommes qui ont vingt ans font la même chose, je pense que tous les hommes qui ont moins de vingt ans, ou plus, imaginent leur vie, passée et à venir. Je n'imagine jamais que je suis le seul à me rêver et que tous les autres vivent mes aspirations. 

J'ai vingt ans et je ne veux pas sortir. Je préfère rester dans ma chambre. Je ne veux pas sortir parce que dehors le monde m'empêche de rêver, d'imaginer. Dehors, c'est le même dehors depuis que je suis né. Rien ne change, rien n'avance, rien de nouveau. Oh je pourrais voyager ? Oui, j'ai des amis - j'ai des amis - qui voyagent. Comme moi, ils ne voulaient plus sortir de leur chambre. Alors ils sont partis, partis rêver plus loin. Mais moi, j'ai préféré rêver de partir, imaginer que dehors, ce n'était plus dehors mais la baie de San Francisco ou le delta du Nil...

J'ai vingt ans et j'aime. Oui, j'aime. J'aime et souvent elle vient dans ma chambre rêver avec moi. C'est un amour chaste, éternel, profond. J'en rêve souvent, je l'imagine durer des millénaires, passant de cette vie à une autre, les âmes soeurs voyagent... Dans mon rêve. Dans le sien, je ne voyage plus. Elle a cessé de rêver avec moi. Mais je continue de l'imaginer dans mes vies futures. Alors pour continuer de l'imaginer encore et encore, je reste dans ma chambre...
Et je rêve....

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Musique : 
  • Eggstone - Good Morning

Dessins :
  1. Acapulco
  2. Acapulco
  3. Acapulco
  4. Mexico


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vendredi 25 juin 2010

CINQUANTEDEUX


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De toutes les questions qu'on se pose dans une vie, il y en a une qui n'aura jamais de réponse, même pas en crevant. Parce que si la mort est sensée résoudre la question du pourquoi de la vie ; rien ni personne ne pourra expliquer pourquoi les jolies filles finissent toujours avec de parfaits connards. Elle, elle était faite pour courir sur la plage de sable, se jeter dans une vague et renaître de l'écume... Une Aphrodite maya. Pour Elle, pour La garder, j'ai tout fait. Sans que jamais Elle ne s'en rende compte.
Tout semblait bien, tout coulait entre nous comme la mer qui entre et se retire, à tel point que tous les efforts que je faisais ne me coûtaient plus rien, J'étais devenu son parfait miroir, son ombre. Et un jour, "faut qu'on parle", elle ne voulait pas d'un engagement, d'une histoire sérieuse, et elle est partie, s'engager avec un parfait connard, un parfait surfeur. Oh moi je suis aussi un parfait connard, à valeur subjective. Le connard qui a enlevé mon Aphrodite, lui c'est un connard objectif, un connard universel. Les connards comme lui enlèvent les aphrodites comme elle, sur toute la surface de la planète ; qu'elles naissent de l'écume ou de l'eau des glaciers, de l'ondée des plaines ou de la fraicheur des oasis...
Les connards subjectifs se retrouvent entre eux pour fêter ça. Et la fête dure longtemps. Et ça permet de répéter l'erreur. Parce que le connard subjectif va chercher son Aphrodite dans toutes les femmes qu'il croisera et ne la retrouvera plus jamais ; enfin jamais telle qu'Elle. Je n'ai jamais retrouvé mon Aphrodite maya. J'ai tout essayé pour la reprendre au surfeur objectif, j'ai même essayé d''en devenir un moi même, un connard universel. J'ai trouvé qu'il n'y avait rien de plus simple.
Mais j'ai aussi trouvé qu'il n'y avait rien de plus ennuyeux. Surtout que ça ne m'a ni ramené mon Aphrodite maya ni une autre. Je surfe seul, comme un connard objectif raté, et je finis mes nuits sur la plage abruti de mezcal, jusqu'à ce que l'écume me réveille et me rejette à la mer. Jusqu'à ce qu'un autre moi, un connard subjectif, me redonne le goût de moi même, de lui, de nous.

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Musique :
  • The Lemonheads - Big Gay Heart (Acoustic live by Evan Dando, starts at 2:19)

Dessins :
  1. Acapulco
  2. Acapulco
  3. Acapulco
  4. Acapulco


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jeudi 24 juin 2010

CINQUANTEETUN


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Le travail saisonnier, j'y avais pas pensé. C'est pas mal parce qu'on est décalé avec les autres, ceux qui travaillent tout le temps d'abord. Quand on est saisonnier, on est en vacances quand les autres travaillent. Mais le travail saisonnier, je pensais vraiment que c'était pas fait pour moi parce que dès qu'il y a un peu de soleil, je suis un lézard, je m'endors, même sous une pierre. Ou alors en hors saison?
Alors quand on m'a proposé ce boulot, j'ai cherché une bonne excuse pour dire non. Et puis on m'a proposé de me loger, de me nourrir, tout ça en plus du salaire. Et puis on m'a dit qu'on me transporterait sur mon lieu de travail pour toute la durée de mon contrat. Et puis on m'a dit que je serais affecté à Acapulco. Alors j'ai dit oui.
Ce qui me rassure c'est de savoir que je pourrai reprendre mon temps libre où je l'avais laissé une fois que la saison sera finie. Pendant que tous ces cons retourneront bosser. En attendant, je vends des maillots de bains à des grosses et à leurs mômes. J'ai de la chance quand elles me demandent pas de leur passer la crème solaire.
Oui puis je suis sensé faire l'animation aussi, le soir, sur scène, donner un peu de couleur locale à leur village de vacanciers...

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Musique :
  • Robert Mitchum - I Learn A Merengue, Mama

Dessins :
  1. Acapulco
  2. Acapulco
  3. Acapulco
  4. Acapulco


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mercredi 23 juin 2010

CINQUANTE


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On passait nos vacances de novembre chez ma tante et mon oncle. Ils avaient une petite ferme laitière dans les montagnes d'Auvergne, une douzaine de vaches qui avaient toutes un prénom, deux cochons et plus de poules que ce qu'on pouvait compter. Novembre à la ferme c'était couper du bois de chauffage pour l'hiver qui arrivait. C'était vraiment un drôle d'endroit. On était pas des citadins encore à l'époque mais même pour nous, traverser la cour en pleine nuit pour aller aux toilettes, on avait l'impression d'être dans Huckleberry Finn...
On en a passé des vacances dans cette famille, et jamais deux fois les mêmes... Comme ces vacances à Saint Tropez, chez notre tante qui travaillait à la DASS. On savait même pas ce que c'était la DASS sinon on aurait trouvé ça bizarre qu'ils en aient une à Saint Tropez, avec un appartement de fonction en plein milieu du vieux port. On se posait sur la terrasse qui surplombait le port et on buvait des cocktails en regardant les touristes. La faune sur place était plus étrange et nouvelle pour nous que la ferme de nos dix ans...
On était même tombé sur un copain du lycée sur place. Un gars, on voyait bien, au lycée, qu'il était pas comme nous. Mais dans les rues, sur les terrasses des cafés, c'est lui qui était à sa place et nous qui étions comme des verrues sur le nez de Grace Kelly. Cet endroit était fou. On rêvait alternativement qu'on avait des fusils à pompe pour dégommer tout le monde ou qu'on avait autant d'argent qu'eux pour avoir l'air encore plus classe que les plus beaux d'entre eux. Parce que, quand même, y en avait qui envoyaient grave...
Ce serait pas mal que je sorte un peu quand même...

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Musique :
  • The Avalanches - Frontier Psychiatrist

Dessins :
  1. Onzero
  2. Onzero
  3. Acapulco
  4. Acapulco


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mardi 22 juin 2010

QUARANTENEUF

B.O.S.T.

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Il y a une route qui relie Oaxaca à Cancùn. Sur cette route circulent de nombreux camions. En réalité, cette route ne commence pas à Oaxaca, pas plus qu'elle ne finit à Cancùn. Mais il y a quelques camions qui ne s'occupent que de cette portion de route. Une portion de presque huit cents kilomètres qui traverse cinq états du Mexique et qui, partie de l'ancien empire Aztèque arrive sur les ruines de l'ancien empire Maya, en longeant une côte qui a abrité de nombreuses expéditions de pirates.   
Les chauffeurs routiers qui empruntent cette route tous les jours la connaissent par coeur. Comme chaque chauffeur routier connaît par coeur la route qu'il emprunte tous les jours, dans un sens un matin et dans l'autre le matin suivant. Tous les jours, huit cents kilomètres ; de ces kilomètres chargés d'Histoire et d'histoires ; tous les jours, huit cents kilomètres sont parcourus, dans un sens, puis dans l'autre le lendemain. Les camions ne sont jamais vides puisque : de Oaxaca, ils amènent le produit de la pêche du Pacifique à Cancùn et que de Cancùn ils amènent le produit de la pêche de l'Atlantique à Oaxaca. Les vases communiquent...
Ces pauvres chauffeurs empruntent donc cette route, tous les jours de la semaine, un jour de repos, le dimanche... Ces hommes croient autant dans le Dieu des catholiques que dans les idoles des ancêtres de ces terres. Qu'ils soient d'origines espagnole ou locale n'a rien à faire dans ces croyances, tout se mélange ici. Ils boivent beaucoup, de la bière, de la tequila et du mezcal. Ils fument, des herbes interdites mais sur lesquelles on ferme les yeux. Et ils sont souvent déchirés entre les deux côtes, des Caraïbes et du Pacifique.
Le résultat c'est qu'ils ont souvent deux foyers. Pas seulement deux maisons mais aussi deux femmes qui entretiennent deux familles... Et que leur véritable foyer, c'est cette route.

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Musique :
  • Patrick Watson - Tracy's Water

Dessins :
  1. Onzero
  2. Onzero
  3. Onzero
  4. Onzero


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lundi 21 juin 2010

QUARANTEHUIT


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-"Elle est longue la route. Ca fait combien de temps qu'on roule?" -"Je sais pas, deux, trois heures?" -"Plus de trois heures je pense. Il était quoi, deux heures? quand on est sorti de l'agence de location? Et il est presque six heures. Même si on est pas parti tout de suite..." -"Bon, plus de trois heures." -"..." -"T'as vu la tête qu'elle avait la fille de l'agence?" -"Ouais. Et?...." -"Nan mais t'as vu la tête qu'elle avait?" -"Oui j'ai dit. Et alors quoi? Qu'est ce qu'elle avait sa tête?" -"Non rien. Tu lui plaisais en tout cas. Elle a pas osé te regarder en face une seule fois." -"Toi non plus elle t'a pas regardé. Et ça se comprend."
-"Combien de temps encore avant d'arriver?" -"Qu'est ce que j'en sais? Trois, quatre heures?" -"On a la réservation pour l'hôtel?" -"Je t'ai déjà dit que non, j'ai pas réussi à les joindre. On se débrouillera sur place" -"On pourrait aussi bien s'arrêter sur la route dans un coin tranquille et planter la tente." -"Tu veux passer notre première nuit dans ce pays sous une tente?" -"Ben oui, pourquoi pas?" -"On verra... Attends monte le son, j'adore cette chanson... I'm going under my skin where the rain can't get it... Y a un solo de piano boogie d'enfer après, j'adore écouter ça quand je conduis"

-"C'est quoi le truc le plus bizarre qui te sois jamais arrivé?" -"Pourquoi tu me demandes ça?" -"Parce que la route est longue, que c'est toi qui conduis, que c'est tes cassettes qu'on écoute et que je m'ennuie à crever. Tu me racontes un truc bien bizarre et après c'est mon tour si tu veux. Ca m'occupera." -"Attends je réfléchis... Oui, j'ai bien quelque chose... J'étais à un concert electro rock un peu crade, avec deux genres de lesbiennes qui s'égosillaient en se tripotant à moitié sur scène. J'étais au bar avec un pote parce que la musique hein.... "
-"...Bon, on buvait une bière aussi tranquille que possible et tout d'un coup y a mon pote qui me dit que quelque chose de bizarre se passe derrière moi. Je me retourne et je vois un mec, pantalon et caleçon baissés, assis sur le comptoir, en train de se faire mâchouiller l'entrejambe par un autre mec. Ils étaient là, juste à un bras du mien. J'ai fait mine de trouver ça normal et j'ai continué à boire ma bière. Le patron du bar les a fait vider dans la minute. C'était assez bizarre pour toi?"

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Merci à Mathias Cornet pour l'histoire la plus bizarre qui lui soit jamais arrivée

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Musique :
  • The The - Unsertain Smile

Dessins :
  1. Oaxaca
  2. Onzero
  3. Onzero
  4. Onzero


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dimanche 20 juin 2010

QUARANTESEPT

Bon les gars, on récapitule, on synchronise, on rigole plus. A 12:00 la banque ferme ses portes. A 12:01, tout le monde est prêt à intervenir. 12:01, Fildefer toi tu coupes le courant dans le secteur. 12:02, Maxie et moi on entre, habillés en agents de la compagnie d'électricité. On tient tout le monde en joue. 12:05, Fildefer, toi tu nous rejoins en couverture et tu refermes les portes derrière toi. 

12:06 Maxie tu te charges des employés des guichets, face contre terre derrière les comptoirs. Fil et moi on emmène  le patron à la salle des coffres. 12:01, Zigzag tu nous attends dans la rue derrière, en face de la porte de service. 12:06, tu mets en marche le moteur. 12:10, Fil et moi on a mis l'argent dans les sacs et ligoté le patron. Maxie tu ramènes les employés dans la salle des coffres. 

12:15, tout le monde est ficelé et enfermé dans la salle des coffres. On sort par la porte de service. 12:16, maximum, on doit avoir décollé. C'est ça le plus important. A 12:15, le restaurant livre le repas aux employés. On doit avoir dégagé avant. C'est serré mais c'est très faisable si on se laisse pas déborder. Au pire, on prendra juste ce qu'on a le temps d'emporter. L'important, c'est que les employés soient enfermés quand on dégage et quand le restaurant livre le repas. C'est bien noté? Hardi petits! on y va!

- Heu, patron, juste une chose...
- Qu'est ce qu'il y a ZigZag?
- C'est la voiture. Elle marchera pas, j'ai pas pu faire le plein et on a dépensé ce qui nous restait dans les pizzas hier soir...
- ...

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Dessins :
  1. Oaxaca
  2. Oaxaca
  3. Oaxaca
  4. Oaxaca


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samedi 19 juin 2010

QUARANTESIX


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J'ai faim... Je m'en rends compte que maintenant mais ça doit bien faire deux semaines que j'ai faim. J'étais super content quand elle m'a dit qu'elle partait avec des copines en vacances au bord de la mer. Je voyais défiler des journées à ne rien faire, d'autres à jouer aux jeux vidéos, à fumer en regardant tard la télévision, à jouer de la musique... Et maintenant je sens bien que j'ai fait tout cela mais j'ai oublié de manger. Et j'ai faim. Et il est deux heure du matin. Tant pis, je sors.

C'est en sortant bien sûr que je me rends compte que je n'ai pas mis le nez dehors depuis qu'elle est partie. Rien n'a changé, je retrouve ma ville où elle est sensée être, mais l'air que je respire est comme neuf. Il fait frais, les étoiles scintillent et une légère brise souffle dans mes cheveux. Je me sens bien et j'en oublie que j'ai faim. Je marche dans les rues, comme si je les voyais pour la première fois depuis deux semaines... Ce qui est le cas pensé-je...

En marchant je pense à elle, pour la première fois depuis qu'elle est partie, et elle me manque soudain d'une façon très cruelle. J'aurais envie qu'elle marche la ville, cette nuit, avec moi, sa main dans la mienne. Je ne croise personne, le calme, le silence sont d'une douceur que la lumière nocturne accompagne comme Lester accompagnait Billie. De marcher, je me retrouve à danser. Je pense encore à elle et soudain elle ne me manque plus, elle est là, à danser avec moi dans la rue, et la musique descend des étoiles... 

Finalement, à la première lueur du jour, je rentre chez moi. Je ne suis pas fatigué mais je n'ai plus faim. Je m'allonge sur le lit, attrape mes cigarettes et le cendrier sur la table de nuit. Je le pose entre mes genoux repliés. J'allume une cigarette et la télévision. Je fume. Vivement qu'elle rentre que je puisse dormir...

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Musique :
  • Billie Holliday And Lester Young - Fine And Mellow

Dessins :
  1. Oaxaca
  2. Oaxaca
  3. Oaxaca
  4. Oaxaca


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vendredi 18 juin 2010

QUARANTECINQ


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Quand on grandit dans une petite ville, on grandit loin du monde. Pas comme si le monde n'existait pas autour, mais comme si cette petite ville n'existait pas pour le monde. On sait bien qu'une petite ville, ça reste une ville. Ceux qui ont grandi à la campagne, parfois juste entourés de champs et de quelques animaux s'ils sont chanceux, peuvent penser qu'une ville, même petite, c'est le monde ramené à sa portion intelligible. C'est ce qui les rassure, j'imagine.
Mais quand on grandit dans une petite ville, on méprise la campagne, on en a peur. Surtout quand c'est là qu'on a commencé à grandir. La campagne ce n'est pas l'image du monde puisque le monde existe par ceux qui le remplissent, qui le fabriquent, qui le vivent. Le monde ne peut être appréhendé qu'avec la multitude. Quand on grandit dans une petite ville, la multitude s'arrête vite. La multitude infinie ignore les petites villes. Elle pense "longs courriers". Elle voyage en stratosphère. Sa lumière occulte les étoiles.
Quand on grandit dans une petite ville, les rêves sont serrés, étriqués, engoncés. Ils étouffent. Comment devenir astronaute quand de l'aéroport le plus proche ne s'envolent que des vieux bimoteurs à hélices. Comment croire qu'on sera chirurgien quand on ne peut rejoindre l'hôpital qu'après quelques heures en voiture sur des routes cabossées. Comment rêver qu'on sera plombier ou boulanger ou mécanicien. Qui rêve de ça?
Quand on grandit dans une petite ville, on rêve tous qu'on en partira...

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Musique :
  • Lou Reed And John Cale - Small Town

Dessins :
  1. Oaxaca
  2. Oaxaca
  3. Oaxaca
  4. Oaxaca


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