mercredi 30 mars 2011

DEUXCENTQUATRE


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Voici Gauthier L. Il a l'air fatigué mais c'est parce qu'il s'occupe un peu trop tout seul de sa petite Eléonore. Assis à la table de la cuisine, il feuillette son exemplaire de Strip Trips Volume Un entre deux siestes. Il découvre et parfois il aime, surtout celles qui parlent de voyages, d'amour solitaire...
Et voici Bertrand N. Lui il s'est installé au jardin des Tuileries entre deux interviews. Comme il est charmeur je pense qu'il a ouvert son exemplaire sur ses genoux pour attirer les regards mais que le sien ne s'intéresse qu'à la jeune fille en face de lui de l'autre côté de l'allée. Celle qui porte ses lunettes sur la tête pour plaquer ses cheveux. Il a raison, le livre est beau et suffit seul à attirer les demoiselles.
Je pense que Nicolas Z. a oublié le sien dans le train qui le ramenait chez lui et que cette vieille dame a vu dans l'objet l'occasion de tromper l'ennui de son voyage. Il y a de grandes chances qu'elle fasse une syncope avant la page 5.
Quand à Vincent B., il a tout simplement donné le sien à son amie Anne-Charlotte parce qu'il n'entend rien à cette pseudo littérature pour fillette.

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Ils étaient néanmoins tous les quatre mes co-témoins pour marier mon petit frère le 2 avril dernier et ce Strip leur est dédié ainsi qu'au "happy couple" déjà parti sous de meilleurs tropiques.

.nol Sr.
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B.O.S.T. :
Dessins :
  1. Bruxelles
  2. Bruxelles
  3. Toulouse
  4. Bruxelles

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lundi 28 mars 2011

DEUXCENTTROIS


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Le problème c'est que Cédric a très mal pris que Clémence le quitte. Il a sombré dans l'alcool et est rapidement devenu un habitué des PMU qui persistent dans quelques rues périphériques de la ville. Pourquoi des PMU ? Parce qu'il n'y a que dans un PMU que l'on peut boire un verre à n'importe quelle heure sans passer pour un alcoolique. Ou du moins sans passer pour un alcoolique solitaire.
Clémence par ci, Clémence par là... Impossible de lui faire changer de sujet. Il la voyait partout, dans chaque nuque attablée, chaque reflet dans une vitrine... Marcher dans la rue avec lui relevait du safari, il la cherchait dans chaque silhouette croisée, chaque regard porté. La vue d'une courbe, d'une simple démarche suffisait à lui donner le tournis.
Et le problème c'est que c'était difficile pour moi de lui ôter de la tête parce que c'était impossible de l'ôter de la mienne. Et je ne pouvais pas le lui dire, que Clémence l'avait quitté pour moi...
Alors quand je l'ai retrouvé l'autre soir et qu'il m'a dit au revoir en se préparant à sauter, j'ai vu là la fin de tous nos problèmes.

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B.O.S.T. :
Dessins :
  1. Toulouse
  2. Toulouse
  3. Toulouse
  4. Toulouse

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samedi 26 mars 2011

DEUXCENTDEUX


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Partout autour de nous ça signait, ça se signait devant des héros de la plume, des conquistadors de la page blanche, des dieux de la remington, des assumés du macintosh(tm)... Ebahis, nous étions là, cherchant une contenance avant même de chercher un lecteur.
Des groupies, il en pleuvait plus que dans un concert pour midinettes. Nous les regardions passer avec envie, imaginant sans forcer les mille dédicaces que leurs yeux, leurs silhouettes auraient pu inspirer au crayon, à la bille, au pinceau...
Parfois, un regard, une démarche, une posture, un élan mal contrôlé nous faisaient croire que "ça y est !". Alors nous fourbissions nos armes, dégainions stylos et plumes, décapuchions, armions le bras, ouvrions à la première page l'un des ouvrages devant nous étalés en un mur de défense entre nous et le public que nous avions imaginé envahissant. Las, nous étions dans le désert des Tartares, sur le mur de la musique du hasard...
Il nous en reste suffisamment d'images, d'idées, pour faire de beaux rêves... Et de belles histoires.

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B.O.S.T. :
Dessins :
  1. Paris au Salon du Livre le 18 mars 2011
  2. Paris au Salon du Livre le 18 mars 2011
  3. Paris au Salon du Livre le 18 mars 2011
  4. Paris au Salon du Livre le 18 mars 2011

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jeudi 24 mars 2011

DEUXCENTUN


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On partait comme Rodrigue, le coeur vaillant, le regard fier, les poches pleines d'ouvrages, par nous signés.
On jetait, en coin, de biais, des regards intrigués, mouillés, pensant très fort aux charolais qui en ce même lieu portent le même regard.
On guettait qui ? Qui serait le premier ? Qui ouvrirait la longue cohue qui devant nous se presserait ?
"Qu'ils viennent, nous sommes prêts."

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B.O.S.T. :
Dessins :
  1. Paris au Salon du Livre le 18 mars 2011
  2. Paris au Salon du Livre le 18 mars 2011
  3. Paris au Salon du Livre le 18 mars 2011
  4. Paris au Salon du Livre le 18 mars 2011


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mardi 22 mars 2011

DEUXCENTS

Pour le numéro DEUXCENT de STRIP TRIPS, Raf est en vacances et Marc-Antoine Mathieu le remplace en nous offrant quelques cases provenant de Le Début De La fin, expurgées de leurs dialogues et de leurs phylactères. Mille chaleureux mercis à lui !

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Je ne sais pas depuis combien de temps on roule comme ça. Ça a été tellement vite au départ que je crois que je me suis évanoui. Possible aussi qu'on m'ait drogué ou même assommé. Je n'imagine pas comment j'aurais pu autrement me retrouver dans cette situation. Quelqu'un est avec moi, je le sens : mon dos frotte contre un autre dos. Si seulement je pouvais me remettre à l'endroit, au moins je ne me cognerais plus la tête.
Nous sommes vraiment brinqueballés dans tous les sens. Je me demande par où on nous fait passer. L'autre ne dit rien. Je ne dis rien non plus mais j'ai l'impression de hurler, même si je n'entends pas ma voix. Je ne pourrais rien entendre de toutes façons :  le fracas qui accompagne notre progression est assourdissant. Nous avançons toujours à une vitesse vertigineuse. Je sens mon poids, plaqué contre les parois du réceptacle où nous nous trouvons. Je ne vois toujours rien. Des bosses sur la route nous font rebondir et ma tête se heurte à coups répétés contre le sol métallique.
Je suis à l'endroit ! Je ne sais pas comment c'est arrivé mais je me suis brusquement retrouvé à l'endroit. Je ne sais toujours pas où nous allons, qui nous emmène mais au moins ma tête ne se cogne plus. J'essaye de trouver une position où la route ne me fait plus souffrir. Puis soudain, tout s'arrête. J'entends un bruit comme un loquet et une violente lumière me force à fermer les yeux. Quelqu'un me passe violemment un sac sur la tête. Je me retrouve de nouveau aveugle. Juste avant j'ai pu voir derrière moi un énorme sac, à l'endroit où je soupçonnais la présence d'un autre homme.

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B.O.S.T. :
Dessins :
  1. Case 1
  2. Case 8 et 9
  3. Case 10 et 11, toutes tirées de Le Début De La Fin par Marc-Antoine Mathieu chez Delcourt, mai 1995.

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dimanche 20 mars 2011

CENTQUATREVINGTDIXNEUF


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Les mots tournent dans ma tête. Je suis assis dans un coin de la pièce et j'essaye de me faire aussi petit que possible, de faire comme si j'étais tout seul ici. Je ferme les yeux, les entrouvre, guette sur les visages un quelconque signe d'intérêt pour ma personne, je détaille les silhouettes, cherche qui pourrait me faire concurrence.
Je donne à chacun sa chance, adapte ma réplique, imagine la posture que je prendrais avec chacun, avec chacune. Une telle serait la gouvernante tel autre le pâtissier poète... Ceux-là sont faciles à identifier, les postulants ne sont pas nombreux. Puis je dénombre une dizaine de Christian et autant de Roxane. Quant aux Cyrano ils sont avec moi pas tout à fait vingt.
Je regarde avec envie les plus imposants physiquement, j'entends leurs grosses voix s'échauffer, je vois les Roxane regarder les Christian de biais et certaines gloussent. Je me concentre sur la plus discrète d'entre elles. Elle se tient à l'écart, tentant comme moi d'échapper au tohu-bohu environnant. Je l'imprime dans ma cervelle, ferme les yeux et déclame la scène du balcon sur son visage doux aux traits apaisés. Petit à petit les Roxane, Cyrano et Christian grimpent sur scène par groupes de trois. L'audition des premiers rôles commence.
J'oublie mon texte et finis par ne plus me répéter que "pourvu qu'on y aille ensemble".

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B.O.S.T. :
Dessins :
  1. Toulouse
  2. Toulouse
  3. Toulouse
  4. Inconnu

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vendredi 18 mars 2011

CENTQUATREVINGTDIXHUIT

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!!! AVIS A LA POPULATION !!!
Strip Trips étant lauréat du troisième prix du meilleur blog graphique (voir ici) décerné dans le cadre du festival d'Angoulême par TheBookEdition.com, qu'ils en soient bénis à jamais, Raphaël et Alexis sont invités par les mêmes TheBookEdition.com sur leur stand du Salon du Livre, ce jour Vendredi 18 Mars de 20H à 23H Porte de Versailles à Paris ! Venez nombreux nous voir et nous dire ce que vous en pensez, vous faire prendre en photo à nos côtés, nous offrir un verre et pourquoi pas commander enfin votre exemplaire ! Enfin, surtout, venez nous tenir compagnie, on a un peu peur de se retrouver tout seuls...

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B.O.S.T.

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Lundi 6 décembre :
Quelqu'un qui dormait dans le train de banlieue, dans le sens ville-banlieue. Le wagon était vide. Arrivé aux abords du terminus il dormait encore et le train s'est arrêté, quelques minutes entre deux stations. Les lumières se sont éteintes dans la rame et pendant ces quelques minutes nous avons été plongés tous les deux dans l'obscurité presque complète. Il ne s'est pas réveillé. J'en ai profité.
Samedi 19 février :
Trois jeunes filles qui commandaient à manger dans un snack qui donnait sur une rue piétonne de la ville. Elles devaient sortir de l'université et passer le temps avant de retrouver des garçons. Je leur ai fait changer d'avis assez rapidement. Elles ont apprécié ma cuisine, ma compagnie, et leur présence m'a fait beaucoup de bien. Leur conversation, sans être des plus intéressantes, m'a égayé le temps de la soirée et j'ai pu oublier le temps de ces quelques heures mes propres états d'âmes.
Vendredi 11 mars :
Un jeune homme qui marchait dans la rue, la tête en l'air, le menton fuyant, l'air hautain. C'est son air que je n'ai pas supporté. Je l'ai suivi, il allait chez une amie, visiblement. Je l'ai laissé entrer et faire son affaire et l'ai repris à sa sortie. Je l'ai suivi, jusque chez lui semble-t-il — il avait la clé pour entrer en tout cas mais je ne lui en ai pas laissé le temps. Je l'ai fini, à l'abri dans la haie qui bordait son immeuble.
Vendredi 18 mars :
Je monte à Paris et je note ces lignes dans le petit carnet qui ne me quitte pas. J'ai faim.

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B.O.S.T. :
Dessins :
  1. Toulouse
  2. Toulouse
  3. Nantes
  4. Toulouse

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mercredi 16 mars 2011

CENTQUATREVINGTDIXSEPT


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Elle a commencé sa journée sous la verrière de la marquise de la porte d'entrée située côté rue. Elle marchait à l'envers sur le verre granuleux chauffé par le soleil du matin et les montants mangés d'une mousse verdâtre de la structure en fonte ou en acier, qui sait en quoi sont fabriquées ces vieilleries ?
Elle a voleté ensuite vers l'usine de godasses de l'autre côté de l'allée, au bout du jardin. L'usine appartient à la famille des voisins depuis des générations, plus d'un siècle en tout cas. L'ancien propriétaire aimait à s'en féliciter en distribuant les maigres primes de fin d'année. L'an dernier la prime était tellement mince que l'usine a été vendue. Depuis elle est vide, désaffectée, attendant probablement le moment où elle sera rasée puis remplacée par un ou plusieurs immeubles d'habitation construits trop vite pour durer mais qui seront rasés à leur tour avant d'être démodés. Sûrement pour construire une usine à la place... 
Elle s'est posée un moment sur le guidon d'un vélo qui était garé là. C'est qu'elle est grande cette usine. Si elle en a fait le tour, c'est logique qu'elle se soit un peu fatigué. Le vélo avec son acier brillant et froid, qui sait en quoi sont fabriqués ces trucs là, les guidons ? Le guidon a dû lui paraître une étape fraîche et fiable. Le temps de souffler quelques instants.
Le vélo appartenait au fils de l'ancien patron de l'usine justement. Il devait faire une promenade dans les anciens locaux ayant appartenu à sa famille depuis plus d'un siècle... Nostalgique le môme. Je crois qu'il l'a écrasée au moment où elle s'est posée sur sa manche.

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B.O.S.T. :
Dessins :
  1. Toulouse
  2. Toulouse
  3. Toulouse
  4. Toulouse

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lundi 14 mars 2011

CENTQUATREVINGTSEIZE


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Les camions ont commencé à arriver hier matin. Je les regardais de ma fenêtre danser un ballet compliqué, arriver la benne pleine à déborder de matériel, se croiser dans la mince allée et repartir vides. Je ne pensais pas qu'ils commenceraient aussi vite, à peine l'hiver terminé. Dans quelques semaines, il n'y aura plus aucune trace de l'immeuble.
Ce soir, je me suis arrêté devant l'entrée. Demain ils commencent la démolition. Je suis resté là, debout, devant la courte volée de marche qui monte vers la double porte battante, ma façon de dire au revoir, de démolir cette histoire.
Ca a pris deux semaines, à grand renfort de pelleteuses et autres grues bizarres équipées de ces gros boulets qu'elles projettent sur les parois dans un fracas terrible. Je scrutais le résultat de leur labeur acharné chaque soir, mesurant l'avancée en comptant les étages restants. Le tien est tombé l'avant-dernier jour.
Et ce matin l'entrepreneur était là avec l'architecte et l'employé du cadastre. Ca mesurait dans tous les sens, ça discutait, ça déployait les bras en l'air, ça souriait, ça se serrait les pognes. Ca se sentait que c'était bien content de reconstruire et que c'était content d'être débarrassé de ça. Avec moi, on était quatre à être content. Non pas que je l'aimais pas cet immeuble, au contraire, j'avais même trouvé bizarre qu'ils le descendent comme ça, mais j'en pouvais plus de plus t'y voir, de plus te voir.

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B.O.S.T. :
Dessins :
  1. Toulouse
  2. Toulouse
  3. Toulouse
  4. Toulouse

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samedi 12 mars 2011

CENTQUATREVINGTQUINZE


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Dans la ville il y a sans cesse des travaux. Un coup on rase pour mettre un immeuble, un coup on rase pour mettre des pavillons, un coup on rase pour mettre des bureaux... Un coup on met de l'asphalte partout avec des couloirs pour le bus, un coup on met des rails pour un tramway, un coup on remet de l'asphalte et des couloirs pour le bus, un coup on remet des rails pour un tramway. Des travaux, sans arrêt... 
On rase, on construit. On re-rase, on re-construit. On re-re-rase... ad lib. J'ai jamais trop compris pourquoi il n'y avait pas de visée à long terme, pourquoi on changeait d'avis comme ça, pourquoi c'était si important de changer tout le temps. Bon moi je change tout le temps la place des meubles chez moi mais ça dérange que quelques bouquins, une pile d'assiettes et une autre de linge. Pas de quoi délocaliser une armée paneuropéenne pour dépaver des boulevards de ceinture et causer des kilomètres de bouchons pendant trois années si les délais sont respectés.
Surtout qu'une fois que la rue est repavée ou recouverte de macadam, elle se retrouve dans le même état qu'avant. On y vend les mêmes paires de chaussures, les mêmes chemises, les mêmes jeux vidéos, les mêmes sous-vêtements qu'avant. Même les gens qui passent devant ces boutiques sont les mêmes. Les travaux, pendant qu'ils sont là, ils gênent tout le monde. Une fois qu'ils sont finis, c'est comme s'il n'y en avait jamais eu. Du coup on recommence. Peut-être que ce qu'ils cherchent c'est qu'on se rende compte que ça change quelque chose. Peut-être ils voudraient qu'on les félicite.
Mais personne ne le fait. Non, les gens préfèrent continuer d'aller dans les boutiques de chaussures, de chemises, de jeux vidéo, de sous-vêtements... Ils s'en fichent pas mal d'être venus en bus ou en tramway. 

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B.O.S.T. :

Dessins :
  1. Toulouse
  2. Toulouse
  3. Toulouse
  4. Toulouse

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jeudi 10 mars 2011

CENTQUATREVINGTQUATORZE


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Petit, mes parents ils avaient pas tellement le sou. Alors mes journées d'été, quand les fils de bourgeois partaient vers les plages ou vers l'Amérique pour les plus bourgeois, les copains et moi on passait nos journées à la piscine à reluquer les filles et à les faire enrager. On rigolait fallait nous voir. Plein de fois le maître nageur il a essayé de nous prendre en flagrant délit de reluquage ou d'enrageage de fille mais on l'avait à l'oeil le bellâtre. Dès qu'on le voyait partir faire le beau devant des mères de famille on avait notre signal. 
Le soir on allait écouter le père de Jacob. Il était musicien dans un band de jazz et son groupe jouait presque tous les soirs dans un bistrot du quartier. Le père de Jacob jouait de la batterie mais nous on avait des yeux que pour le joueur de trombone. On était pas genre je vous vois venir amoureux de lui nan. C'est juste qu'il était tellement beau, tellement classe et surtout tellement américain qu'on le lâchait pas d'une semelle pour copier tout ce qu'il faisait. C'était un peu notre prof de vacances quoi, comme un tuteur. Sauf qu'il le savait pas. 
Et il y avait les jours où Michel avait cours de piano. Ce jour-là, comme il traînait pas avec nous on suivait sa mère de loin. La mère à Michel c'était un peu la pin-up du quartier. Tous les mômes voulaient l'avoir comme maman et tous les papas aussi. On savait pas comment c'était possible que Michel il ait une maman aussi classe ni comment son père à Michel il avait pu tirer un gros lot pareil. Et on osait carrément pas poser la question à Michel.  
Mes parents à moi ils avaient une boutique de vêtement sur mesure. C'était du chic pas cher à la mode de Paris mais pas le prix. En bref, ça gagnait pas lourd et y avait surtout deux frères et trois soeurs après moi à nourrir et loger. La mère à Michel c'était une cliente de mes parents. J'en ai jamais parlé aux copains. C'était comme un secret entre elle et moi quand elle venait dans la boutique, comme si elle venait me voir moi. Elle me faisait toujours un sourire et me frottait les cheveux. Frotter les cheveux, c'est bien le truc que les grands ils vous font et qui m'énerve mais quand c'était la mère à Michel, jamais ça m'a énervé.

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B.O.S.T. :
Dessins :
  1. Toulouse
  2. Toulouse
  3. Toulouse
  4. Toulouse

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mardi 8 mars 2011

CENTQUATREVINGTTREIZE


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Quand j'étais petite, je passais les vacances d'été dans le château familial. C'était une énorme bâtisse construite sur un terre-plein rocailleux, couvert d'herbes folles, de bruyère et de pins parasols, qui dominait une falaise surplombant l'océan Atlantique, sur la côte sud du Finistère. Un chemin tortillait du bout du terrain jusqu'à une petite crique où nous passions nos journées entre cousins à jouer aux pirates ou aux mousquetaires, selon le film que nous avions vu la veille. On s'écorchait les pieds sur les rochers saillants qui affleuraient sous le sable et on frétillait de dégoût sitôt qu'une des nombreuses algues qui envahissaient la petite plage nous frôlait malgré nos manoeuvres pour les éviter. Pour ne pas nous faire mal, nous étions obligés de porter des sandales en plastique qui meurtrissaient nos pieds bien plus que les rochers.
Parfois, nous descendions sur notre petite plage sans les parents pour nous surveiller. Alors nos grandes cousines étaient mandatées pour être les yeux et les oreilles de l'autorité mais jamais cette autorité ne s'exerçait réellement : les grandes cousines pas plus que nous ne supportaient ces sandales en plastiques et c'est les pieds nus que nous nous prenions alors pour Barbe Noire ou d'Artagnan, laissant les représentantes de l'ordre se plonger dans un roman à l'eau de rose ou d'épouvante. Sauf Benjamin, le plus jeune d'entre nous, qui faisait toujours ce qu'on lui disait et ne se risquait jamais à ôter ces chaussures de plastique.
La nuit, ces grandes cousines qui avaient toute la confiance de nos parents nous terrorisaient avec des histoires de monstres marins, de vampires ou encore de fantômes — ces derniers formidablement en accord avec le lieu de nos vacances — et je garde de ces soirées des souvenirs aussi lumineux qu'empreints de nostalgie, même s'il arrivait que nos nuits soient ponctuées de cauchemars atroces renforcés par les ronflements de nos tontons dans les chambres attenantes. Nous étions une telle cousinade rassemblée dans ces murs qu'il devenait impossible de distinguer ses parents de ses oncles et tantes ainsi les hommes devenaient des tontons et les femmes des tatas.
Un après-midi de l'été de mes dix ans, alors que nous étions descendus sur la plage avec les grandes, nous jouions aux trois mousquetaires. Filles et garçons mélangés, nous avions organisé  une grande bataille au milieu des rochers entre mousquetaires du Roy et mousquetaires du Cardinal. Mon cousin Benjamin a dérapé ce jour-là, sa sandale a glissé sur l'arête d'un rocher et il s'est ouvert l'arrière du crâne sur l'arête d'un autre. Il est mort sur le coup. C'était il y a vingt ans aujourd'hui. Oui, j'en ai trente et j'emmène mes enfants retrouver leurs cousins sur la même plage de cette même bâtisse. Et jamais ils ne portent de ces fichues sandales.

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B.O.S.T. :
Dessins :
  1. La Turballe
  2. La Turballe
  3. Dinard
  4. Toulouse

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dimanche 6 mars 2011

CENTQUATREVINGTDOUZE


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Quand on était petits on allait en mer le weekend avec papa. On se levait tôt le samedi pour partir avec la marée descendante. Des fois, comme la marée descendait très tôt, on passait la nuit dans le bateau amarré. Je détestais le bruit du port la nuit. Ça faisait un raffut de tous les diables, le bruit des cordages contre les mâts, une cacophonie métallique qui m'empêchait de fermer l'oeil.
On canotait le long de la côte puis on prenait un peu le large pour aller jusqu'à une île déserte où on passait la journée. On pique-niquait, on allait jusqu'à un vieux fort dans lequel on jouait aux pirates. Rarement longtemps, c'est dûr de jouer des heures aux pirates à deux sur une île déserte quand on sait qu'on doit reprendre la mer si on veut être rentré avec la marée. 
Le soir on mangeait une crêpe sur le port et s'il y avait un bon film au cinéma, on allait le voir avant de rentrer. Papa riait à gorge déployée même quand ce n'était pas très drôle et généralement, d'entendre son rire, on riait aussi. Puis la salle finissait par rire à l'unisson avec nous. Alors que le film n'était pas vraiment drôle. Le dimanche on reprenait le train pour rentrer chez nous et on laissait papa à son bateau. 
On l'imaginait qui reprenait la mer sans nous, avec toujours cette crainte qu'un jour il rate la marée montante pour rentrer.

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B.O.S.T. :
Dessins :
  1. Dinard
  2. Dinard
  3. Angers
  4. La Turballe

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