mardi 31 août 2010

QUATREVINGTDIXNEUF


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Je reste un peu avec Albert, Albert et ses deux filles sensasses. Il ne faudrait surtout pas croire que Jeanne et cette deuxième fille puissent être sensationnelles de la même façon. Jeanne est sensasse depuis toujours. La deuxième, elle, est seulement sensasse depuis hier. C'est facile d'être sensasse depuis hier, c'est autre chose de tenir la distance. Tout le monde le sait mais Albert lui, le pauvre, ne l'a pas encore bien compris. C'est pourquoi, tout euphorique, et un peu malhonnête, il a emmené la deuxième en weekend dans son coin préféré, un tout petit village de pêcheur où il a passé ses vacances enfant, un coin qu'il a déjà plusieurs fois partagé avec Jeanne, cela va de soi. Pauvre Jeanne qui s'est vue prétexter un weekend de travail.
Jeanne est à ce point sensationnelle que, sachant parfaitement ce que trame Albert, elle fait mine de n'en rien savoir quand il lui parle, quand il lui ment. Elle prend ce mensonge comme une ultime preuve d'amour, comme une marque de confiance. Elle estime qu'Albert la trouve suffisamment sensationnelle pour avaler son mensonge comme elle a avalé tous les autres auparavant. Ces petits mensonges qui, par exemple, le faisaient travailler un peu plus tard pour aller boire un verre avec ses collègues. Et de savoir qu'Albert la trouve sensationnelle, ça la rassure Jeanne. Je sais pas vous mais moi je l'aime de plus en plus. Albert, pour l'instant, c'est la deuxième qui l'intéresse. Vraiment ? Non pas vraiment. Ce qui l'intéresse, c'est lui, et ce qu'il veut en faire. Dans ce petit village où il emmène Jeanne régulièrement.
Albert est perplexe. Il va vous falloir beaucoup de patience pour comprendre le pauvre Albert. Il est tombé sur cette fille, ce n'était pas prévu. Il est un peu euphorique donc et comme à chaque fois il l'a emmenée dans ce coin qu'il aime partager, qu'il a partagé avec beaucoup d'autres — et pas que des filles sensationnelles si vous voulez mon avis — et qu'il a beaucoup partagé avec Jeanne donc. C'est peut-être cela qui le tracasse le plus. Il se rend compte finalement que ce coin n'est plus à lui complètement, il est habité par Jeanne, d'une façon dont il ne pouvait pas se rendre compte tant qu'il y venait avec elle. Mais là l'évidence le frappe et la deuxième, l'autre fille, comme elle est bien aussi, elle s'en rend compte n'est ce pas. Ce qui est rassurant, au demeurant.
Ils sont donc là, tous les deux : Albert perplexe et la jeune fille. La jeune fille qui, tel un téléphone cellulaire dans les mains d'un chimpanzé, se demande ce qu'elle fait là. Et je me demande si elle va faire le mouvement qu'il faut pour libérer le jeune Albert de cette drôle de situation. Parce que si elle ne fait rien, je ne suis pas sûr de l'aimer encore longtemps le jeune Albert... Ha mais attendez, on dirait bien que c'est lui qui s'y colle. Oui ! Il se lève, il lui prend la main, il se penche vers elle, il lui parle doucement dans l'oreille, elle rit. Elle se lève avec lui, ils quittent la plage, ils retournent à la voiture. On dirait qu'ils rentrent...


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Musique :
  • Ben Lee - The Finger And The Moon

Dessins :
  1. La Turballe
  2. Nantes
  3. Nantes
  4. St Brevin


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lundi 30 août 2010

QUATREVINGTDIXHUIT


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Albert est amoureux. Albert vit avec une fille de son âge, ils sont jeunes et il y en a autour d'eux pour les trouver beaux. Albert est amoureux de Jeanne et Jeanne aime Albert et tout est bien. Albert a rencontré Jeanne il y a longtemps et petit à petit, ils sont tombés amoureux, comme une évidence qui prend son temps pour se faire admettre. Le temps qu'il a fallu aux hommes pour comprendre que la terre est ronde par exemple. Aujourd'hui, Jeanne n'a plus le coeur à vivre la vie qu'ils ont menée, faite de sorties et de sorties aussi. Alors voilà, c'est dommage mais Albert sort seul. 
C'est dommage? Oui parce que si Albert sort seul, cela ne veut pas dire qu'il le veut. Il y a du dépit dans ses sorties solitaires. On dirait que d'un côté Albert voudrait grandir, vivre la vie que vivent les couples comme celui qu'il forme avec Jeanne, être comme elle et qu'il est déçu d'être encore adolescent. Et que d'un autre côté, il en veut à Jeanne de ne plus le suivre parce qu'il estime devoir encore profiter, vivre vite des soirées de rencontres et de rires, de danses... Le dépit et la rancoeur le poussent donc plus désormais que l'envie et l'ardeur — non, ce n'est pas la même chose. Et c'est arrivé. Quoi donc? Et bien Albert s'est fait rentrer dedans par une fille sensasse. 
Alors Albert est amoureux de Jeanne, une fille sensasse. Et ce soir, Albert est de sortie, un peu déçu, un peu rancunier, mais un peu envie d'oublier tout ça pour une fois. Alors pour cette fois, il se laisse tenter par les regards qu'il croise, il se laisse pousser par la soirée, il avance, il discute, il rit, il danse même, on dirait qu'il passe une bonne soirée. Qui ça on ? Une fille sensasse qui ne rate pas un seul des mouvements du jeune Albert, elle le suit partout, le mange des yeux. Il faut préciser qu'Albert est particulièrement brillant ce soir, même il bouge terriblement bien, et ses cheveux ne lui tombent pas dans les yeux, signe des bons jours...
Alors la fille sensasse, elle va faire du rentre dedans à Albert et Albert il la laisse lui rentrer dedans et tout ça finit bien, pour la fille sensasse puisqu'elle a ce qu'elle veut — et on sait tous que ce qu'une fille sensasse veut, il n'y a pas de raisons pour qu'elle ne l'obtienne pas — mais très très mal pour Albert qui avait déjà une fille sensasse dans sa vie et n'en a surtout pas besoin d'une deuxième. Et Jeanne alors? Elle est sensasse Jeanne, je lui fais confiance, ça finira bien.


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Musique :
  • James Brown - It's a Man's Man's Man's World

Dessin :
  1. Nantes
  2. Marseille
  3. Marseille
  4. Nantes



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dimanche 29 août 2010

QUATREVINGTDIXSEPT


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On a tous, j'espère, le souvenir d'un professeur. Ce professeur qui par les mots justes qu'il aura trouvés pour me parler, l'intérêt qu'il aura eu pour ma personne, ce professeur qui d'une manière ou d'une autre a su transmettre sa passion pour la matière qu'il enseignait à quelqu'un comme moi qui n'en avait aucune, passion. J'ai le souvenir de ce professeur en particulier, qui enseignait le français, lors de ma classe de seconde que je doublais cette année là, et pas seulement à cause du français. L'homme en lui même ne payait pas de mine, pas vraiment grand mais pas juste petit, vêtu d'un vieux complet à rayures ou d'un ensemble mal-assorti terminé par une veste à la couleur indéfinissable, généralement une écharpe rouge et systématiquement une gitane, des lunettes sales et une vague odeur d'alcool fort. 
Il avait facilement l'air embué, le ton haché, on pourrait dire gainsbourgien si on osait faire des mots sur le nom de cet homme. Mais il avait la passion de sa matière et bordel de dieu il lui lâchait la bride à sa passion. On s'en prenait plein la gueule pour pas un rond de sa passion. Et il s'enflammait dès que le moindre d'entre nous soumettait un avis frileux, intéressé voire curieux sur quelque sujet que ce soit, puisque pour lui tout était littérature, littérable, sujet à littérer (je l'imagine tellement sautiller en lisant une phrase comme celle ci). Et c'est cette flamme qui a laissé une trace aussi nette. Pourquoi écrire sur lui ici ? D'abord parce qu'il faut l'écrire parce qu'il a vraisemblablement disparu et qu'il mérite qu'on le fasse. Sans lui je n'écrirais même pas, sans lui je ne saurais même pas lire.
Ensuite parce que ces images m'évoquent une lecture commentée en classe des Faux Monnayeurs d'André Gide. Évocation lointaine mais qui m'empêche d'y trouver d'autre inspiration. Les Faux Monnayeurs, étudié en classe de première avec ce même professeur et dont un des passages voit les deux héros, les deux amis, Bernard et Olivier vivre des vacances à haut pouvoir symbolique. Le premier en hauteurs suisses et solaires accompagné d'un mentor éclairé et le second en criques basses et sombres aux bras d'un méchant cynique. Ça a l'air pesant expliqué ainsi mais c'est en réalité d'une légèreté et d'une fluidité ahurissante. Je distingue aisément ici des hauteurs lumineuses et des bassesses maritimes.
Et je distingue même ici attablé mon cher professeur, dans une position qu'il affectionnait plus que tout, de préférence entouré de jeunes gens prêts à écouter ce qu'il avait à raconter. Et bordel de dieu, il en avait.


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Musique :
  • Paolo Conte - Sparring Partner

Dessins :
  1. Marseille
  2. Marseille
  3. Marseille
  4. Marseille


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samedi 28 août 2010

QUATREVINGTSEIZE


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J'étais avec Jacques et Marie à la plage quand c'est arrivé. Je n'avais plus écrit depuis presque un an, j'avais besoin de vacances. J'ai visité bon nombre d'autres amis en rentrant un peu chez moi entre deux, histoire de tenter de m'y remettre ; mais impossible de sentir le début d'une idée de sujet, le début d'une phrase que je pourrais tirer, filer, comme j'en ai l'habitude. J'avais donc laissé tomber une fois de plus et étais partie chez Jacques et Marie, au bord de l'océan. On était à la plage donc, Marie, belle et blanche comme je la connais et Jacques, maigrelet et ouvert, comme je l'ai fait. On parlait enfin, je parlais, je racontais mon blocage, puisque c'est bien comme ça qu'il faut l'appeler.
Et, comme en transe, je me suis mise à leur raconter une histoire ahurissante d'hommes chats et de vols d'oiseaux - de rapts d'oiseaux, pas d'envols - d'enquêtes policières qui s'enlisent et de jeunes gens à la poursuite des ravisseurs mi-hommes mi félins. Je leurs décrivais des scènes de sacrifices, des scènes d'exorcismes, des scènes de poursuites, j'en rajoutais dans les détails sanglants et violents, comme si j'avais cherché à les effrayer et j'y parvenais même puisque mon Jacques était tout tremblant à la fin de mon long, long discours. Je me souviens très bien. J'ai eu à ce moment là une vision. Une vision très nette, lumineuse, un souvenir, quelque chose qui m'était déjà arrivé, il y a longtemps, ou pas si longtemps finalement.    
Une impression nette, un souvenir qui me ramenait en arrière à la dernière fois que je m'étais attelée à ma machine pour écrire. A ce moment, j'ai regardé mon grand Jacques et sa petite Marie et leur air ébahi, l'impatience que je lisais sur leurs visages a sauté au mien, de visage. Je leur ai demandé ce qu'ils attendaient ainsi, à me regarder fixement - pour un peu j'aurais pu voir leur langues pendre de leurs lèvres, comme des animaux assoiffés, la vision était saisissante. 
- On veut la suite Maman!
- La suite de quoi mon grand?
- La suite de l'histoire pardi!
- Quelle histoire? 




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Souvenez vous, dans QUATRE, ça allait déjà pas bien fort...

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Musique :
  • David Bowie - I'm Deranged

Dessins :
  1. Marseille
  2. Marseille
  3. Marseille
  4. Marseille


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vendredi 27 août 2010

QUATREVINGTQUINZE


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On va prendre Haroldo. On lui fait traverser les Etats-Unis en stop. Elle venait d'où déjà ? Enfin elle... Il à l'époque. De Miami ? Parfait. Voilà c'est bon ça, il se rase les jambes et il devient elle. Génial. Tout le monde sur le pont! Il me faut des choeurs, un gimmick pour les introduire... Quelque chose comme "soyons fous". Je vais trouver. La suite maintenant. Je prends Candy ? Aller, James, enfin Candy. Je vais lui faire faire un truc dégueulasse ; dégueulasse pour une chanson. Je la fais venir de Long Island, et elle va perdre la tête en suçant des bites. Non, elle ne va jamais perdre la tête. Soyons fous. 
Il faut absolument que je parle de Joe D. quelque part. Il est trop beau pour que je l'ignore. Je vais le vendre, le faire vendre son corps. On est à New York après tout. Un coup à droite, un coup à gauche, on paye, il n'abandonne jamais. Trop beau. Soyons fous. Si je mets Joe D., je mets aussi  Joe C. mais il était juste gay lui. Je vais le faire traîner les rues, le faire crever la dalle, l'envoyer chez les blacks de l'Appolo, parfait, ça lui va super bien. Soyons fous. Aller, j'en rajoute un, c'est trop bon. Je vais prendre Jackie, je vais la faire planer un peu et la crasher. Soyons fous ! Bon, il me faut des choeurs bordel de merde.
Bon, je reprends du début, voyons ce que ça donne. Hmmm c'est bien trash comme j'aime. Ça ne passera jamais à la radio. Je vais me mettre à la mélodie, on pourrait faire un truc cool, lancinant, comme un ruisseau qui s'écoule tranquille... Je pourrais reprendre ce petit riff que je jouais l'autre soir. On placerait une petite batterie juste caisse claire aux balais, et une contrebasse qui chalouperait. Ça serait parfait pour accompagner des histoires aussi sordides. Même je pourrais demander à Ronnie de venir placer un solo de son saxophone. Les filles adorent le saxophone. Tu vas voir qu'on va faire un tube. 
... Un peu mon Loulou que tu vas faire un tube...


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Musique :
  • Lou Reed - Walk On The Wild Side

Dessins :
  1. Marseille
  2. Marseille
  3. Marseille
  4. Marseille


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jeudi 26 août 2010

QUATREVINGTQUATORZE


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Lui c'est Maxime Cochin. Pour une fois, vous pouvez chercher, il a existé. Je ne l'ai pas connu, le gars était actif dans les années quarante à soixante et vous ne trouverez pas de littérature à son sujet, il n'a été une petite célébrité qu'en 1948, et encore, au niveau local. Je vous parle d'Angers. Je suis trop jeune pour l'avoir connu mais son histoire colle bien à ces images. 
Alors le gars Cochin, sans être un caïd, c'était un gros gars. Il fréquentait les bars autour de la maison des marchands en plein centre d'Angers. A l'époque, dans les années quarante, Angers était loin d'être la ville sclérosée autour d'un centre muséïfié qu'elle est devenue - comme la plupart des villes du pays aujourd'hui. La maison des marchands c'était un grand truc en bois qui a brûlé depuis. L'ambiance aux alentours ressemblait à celle du quartier des halles à Paris, je parle du quartier des halles circa Irma la Douce, avec le même genre de faune comme population - je pense maquereaux et gagneuses, petits caïds et travailleurs du coin, épiciers, boulangers, bouchers. On y parle argot, verlan ou louchébem et les conversations ne se comprennent qu'entre initiés.

Le môme Cochin, il se la joue dur à cuire. Imaginez le gars qui aime à se traîner une réputation de mauvais garçon. Moi je le vois bien traîner près des louloutes, faire le beau près de leurs marlous et jouer les michetons parce qu'il a pas la thune. Bref, on parle de lui dans le quartier, qu'on comprenne ce qu'on dit ou pas. Et la maréchaussée l'a à l'oeil. Forcément, à force de jouer les durs, ça fini par se voir. Entre temps, quand il bouine pas, le gars Cochin, il traîne ses guêtres du côté de la salle de boxe de son quartier et il s'entraîne, dur. Faut dire que le môme Cochin il en a gros. Dans le genre, comme c'est un môme, on le respecte pas des masses. Du coup, il a la bonne rage pour les sacs de sable et les sparring-partners.
On est en 1948. Le gars Cochin, il s'entraîne. Dur. Il a une idée en tête : les olympiades. Cette année, c'est à Londres. Môme Cochin, il a décidé d'y aller, catégorie "flyweight", les poids mouche. Ha oui, le môme Cochin, si tout le monde l'appelle un peu môme, c'est qu'il est pas bien grand. Mais c'est un dur, et il joue les durs. Un peu du style Elisha Cook Jr, le porte flingue de Sydney Greenstreet dans le Faucon Maltais. Une fois les olympiades en approche, môme Cochin, il va à Londres. Dans les bistrots autour de la maison des marchands, ça rigole sec. Si on s'amuse à prendre des paris, c'est sur la vitesse à laquelle le môme va rentrer. Ou alors s'il va rentrer tout court. On donne pas très cher de sa peau.
Et ben cette année là, môme Cochin, il va jusqu'aux huitièmes de finale. Il tombe face à un petit coréen. Mais ça, tout le monde s'en fiche. Quand le môme Cochin il revient au bercail, c'est le préfet qui est là pour l'accueillir. Et sur tout le trajet de la gare à chez lui, on le fête, on le célèbre. Et pour une fois, autour de la maison des marchands, tout le monde à fermé sa grande gueule. Et ça, quelle que soit la langue, tout le monde le comprend.



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Musique :
  • Survivor - Eye Of The Tiger

Dessins :
  1. Marseille
  2. Nantes
  3. Nantes
  4. Nantes


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mercredi 25 août 2010

QUATREVINGTTREIZE - HORS SERIE #7


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J’ai vu la mer. Je l’ai entendue la nuit, rugir comme un animal solitaire. Entendre la mer rugir comme ça on a qu’une seule envie, qu’elle ne soit plus jamais seule. On a juste envie de n’être plus jamais seul soi-même. Difficile d’expliquer l’impression autrement. Mais si j’avais été seul à ce moment là, je crois que j’aurais eu peur. Pas une peur bête de celles qui m’atteignent quand je vois une araignée un peu plus grosse que d’habitude. Une vraie peur panique, comme une angoisse qu’ont les enfants dans le noir total ou plutôt dans cette pénombre qui dessine d’inquiétantes images sur les murs. Et j’ai aimé être là, et ne pas y être seul.

J’ai vu ensuite la cité. Je l’ai découverte tout seul cette ville. Alors que la mer me rappelait la petitesse de ma solitude et m’effrayait, la ville l’a réclamée à corps et à cri ma solitude. Elle m’a avalé. Je m’y suis perdu de la tête aux pieds, avec toutes mes tripes. Et j’ai adoré ça. J’en ai arpenté chaque ruelle, me suis assis sur chaque banc, chaque pas-de-porte. Et j’ai, jusqu’à la fin de mon séjour, conservé ma solitude, mon anonymat. D’autant plus facilement que je ne parlais pas un seul mot de la langue que parlaient les gens d’ici. Et j’ai aimé être là et y être seul.

J’ai vu enfin des amis. Des amis que je connais depuis longtemps, d’autre depuis moins. Des amis que j’aime beaucoup et d’autres moins. On ne peut pas aimer ses amis autant les uns que les autres. Il y a des privilégiés. De ces amis au-delà du pardon, au-delà de la justification. De ces amis qui vous embarrasseraient s’ils n’étaient pas des amis. J’en ai vu encore et encore des amis. Et j’ai aimé les voir, tous sans exception. Même ceux qui m’ennuient de temps en temps. Même ceux que j’ennuie souvent. Parce que j’ennuie souvent. Ne dites pas le contraire. Et j’ai aimé être avec eux tous.

Mais, une fois qu’on s’en est mis plein les mirettes, qu’on a bien enregistré tout ça,  il est temps, comme dit Greg « Papy » Boyington, de rentrer au bercail. Les vacances sont finies.


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Musique :
  • Cousteau - Last Good Day Of The Year

Dessins :
  1. Nantes
  2. Tunis
  3. Tunis
  4. Acapulco


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mardi 24 août 2010

QUATREVINGTDOUZE - HORS SERIE #6


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- Mais je ne veux pas aller ici Emilie !
- Ecoute Mamie, on en a déjà parlé, je ne peux plus m’occuper de toi, je quitte la ville pour mon travail, j’y suis obligée. Je ne peux pas t’emmener, je t’ai expliqué. Et tu sais bien qu’Emilie vit très loin et qu’avec tes cinq arrière-petits-enfants dont elle s’occupe elle n’aurait pas le temps de s’occuper de toi comme il faut, comme je le faisais.

- Oui mais c’est pas chez moi ici. Qu’est ce que je vais y faire ? Je préfère chez moi. Même si tu viens souvent Emilie, t’occuper de moi, je préfère être chez moi.
- Tu ne m’écoutes pas Mamie. Je t’ai dit que je ne pourrai plus venir te voir. Je m’en vais. Et je ne veux pas que ce soit des gens qu’on ne connaît pas qui viennent s’occuper de toi. Ici, j’ai rencontré les membres du personnel et ils sont très gentils, ils seront très gentils avec toi. En plus, il n’y a ici que des gens qui ont la maladie d’alzheimer.

- Mais justement ! Je ne veux pas l’attraper cette maladie ! Si je suis entourée de personnes comme ça mais qu’est ce que je vais leur dire ? Qu’est ce que je vais faire ici ? Emilie ne me laisse pas ici, ramène moi chez moi.

- Pour l’amour du ciel Mamie ! Moi c’est Olivia. Emilie habite à six-cents kilomètres d’ici et ça fait cinq ans que tu ne l’as pas vue.
- Ha ? Et Richard ? Il est où Richard ? Ça fait un bon moment que je ne l’ai pas vu lui, j’ai plein de choses à lui dire.


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Musique :
  • The Feelies - Orignal Love

Dessins :
  1. Nantes
  2. Nantes
  3. Nantes
  4. Paris


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lundi 23 août 2010

QUATREVINGTONZE - HORS SERIE #5


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Quand le grand Viktor Slenhivhörst montra à ses proches les premiers croquis de ce qui allait être son grand œuvre, ceux-ci eurent l’impression que le génie de l’architecte visionnaire qui laisserait une empreinte indélébile dans l’urbanisme de son pays s’était éteint. Tous autour de lui crurent pour de bon que l’esprit du maître était vidé, épuisé sous trop de ponts et de musées, de tours et de bâtiments nationaux. Aucun d’entre eux ne soupçonnait Viktor capable d’une dernière prouesse, d’un dernier baroud d’honneur qui resterait, à jamais, comme le joyau de sa carrière.


A revoir aujourd’hui ces dessins, il est difficile d’en vouloir à ces mêmes proches tant leur niveau était formidablement éloigné de ses précédents travaux. Aucune innovation dans les agencements des appartements, ni dans les utilisations de matériaux. Rien d’original dans les lignes extérieures ni dans les dispositions des coursives et escaliers. Pire, il semblait, à voir les quelques esquisses préparatoires présentées, que cet immeuble fut destiné à une seule famille, comme une maison en quelque sorte, certes très luxueuse mais qui restait une maison familiale.


Viktor Slenhivhörst avait même, comble de l’hurluberlurie (si vous me passez l’expression), prévu un immense jardin, présenté au milieu de ses croquis sans que rien ne le rattache aux autres parties du bâtiment dont, du reste, il n’avait montré aucune vue d’ensemble. De ce que l’on sait aujourd’hui du travail de l’artiste et de son esprit facétieux, on ne peut que se réjouir avec lui du tour de passe passe qu’il avait là joué à ses futurs ayants droits, puisque c’est de ces proches là qu’il s’agissait.


La dernière couleuvre que Viktor Slenhivhörst fit avaler à ses proches donc fut révélée lors d’une conférence de presse qui fit date, présentant les plan de coupe, les vues d’ensemble et les plans détaillés d’une demeure familiale – que Slenhivhörst avait l’intention d’habiter pour finir ses jours – dotée d’un grand jardin botanique, d’une grande verrière sur son toit, toit qui serait donc la seule partie visible en extérieur de cette bâtisse qui serait donc entièrement sous-marine. Puisqu’on vous le dit.

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Musique :
  • A House - Endless Art

Dessins
  1. Paris
  2. Nantes
  3. Paris
  4. Nantes


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dimanche 22 août 2010

QUATREVINGTDIX - HORS SERIE #4


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- Et alors ?
- Alors ? Alors, je me suis endormie.
- Et il a fait quoi ?
- Attends. On était dans l’avion. On avait encore trois heures de vol. On avait déjà discuté et je voyais bien déjà qu’il était ferré. Il regardait même plus les hôtesses et les hôtesses même moi je les matais. Alors pour voir s’il était bien, bien accroché, je me suis endormie. Mais j’ai fait semblant. Sinon, tu peux être sûre qu’une des hôtesses allait lui mettre le grappin dessus ; obligé. Ça se voyait trop qu’elles avaient bien l’habitude de ce genre de clients.

Le client qui à peine monté dans l’avion étale ses affaires, ouvre l’attaché case, sort le portable, inspecte des tableaux de chiffres, tombe des photos de son yacht, s’amuse avec le financial times et en même temps recoiffe sa mini vague blondâtre, le genre qui joue du biceps à travers la chemise en flanelle. Le style de bras avec le chronographe Patek Philippe au poignet. Le genre d’énergumène qu’on croise dans les romans de gare sous couverture rose à écriture dorée. T’emballe pas Martine, on connaît oui. On a l’habitude.

Et ça, c’est les copains qui parlent de toi. Oui, forcément, que tu racontes tes vacances à ta copse, t’inquiètes pas que l’histoire va voyager, et plus vite que toi même. Qu’est ce qu’ils en pensent les copains ? Rien de plus qu’avant ton départ. Je voudrais pas dire mais c’est à peu près le destin qui t’était promis. Si t’étais pas revenue enchantée de tes aventures maritimes dans les eaux chaudes de la Méditerranée, de ta rencontre incroyable avec un yachtman charmant et richissime, jeune et plein d’amis, qui a besoin d’amour… Parce que c’est bien connu, c’est seul ces gens là. Ça a besoin d’épaule innocente pour se faire aimer pour autre chose que leur argent. 
Et oui Martine. Heureusement que ta copse elle est là pour payer le loyer quand t’es en vacances. Et heureusement qu’elle est là pour écouter tes histoires sans rire et même en faisant mine qu’elle te jalouse, qu’elle t’envie à mort. Ça t’aide pas à aller mieux mais au moins ça te pousse à recommencer l’été suivant. Ça donne un sens à tes vacances.

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Musique :
  • The Expressions - Total Eclipse

Dessins :
  1. Barcelone
  2. Barcelone
  3. Barcelone
  4. Barcelone


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samedi 21 août 2010

QUATREVINGTNEUF - HORS SERIE #3


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Mon François. Il m’arrive souvent de penser à toi. Généralement, chaque lundi quand je vois passer au loin un des cargos de la Continentale. Ils ont la ligne plus avachie qu’en notre temps mais leur silhouette a le même goût d’ailleurs qu’à l’époque. Je me souviens quand tu es parti avec elle. Je me souviens les arrangements qu’on avait faits avec ce gros capitaine. On aurait du se méfier plus de lui, un capitaine ça peut pas être gros comme ça. Pas sur un navire de marchandise. Pas sur un cargo de la continentale.

Je l’ai su que trop tard qu’il vous avait donnés elle et toi au marquis. Si on l’avait su avant ton départ on aurait pu préparer une fuite savante, du genre de celles qui laissent aucune trace réelle mais que des traces bidons. Mais une fuite savante, le marquis m’aurait mis le grappin dessus et crois moi, j’aurais jamais pu tenir ma langue. Je le connais. Je l’ai vu faire, avec des plus costauds que moi, et des qu’avaient plus de trucs à cacher. Mais on peut dire que vous avez eu une sacrée veine.

Et malgré tout, la cavale vous a rapprochés. Et de savoir le marquis sur vos talons, c’était toujours plus sécurisant que de le savoir à votre recherche. Je sais que moi, j’étais bien content d’avoir toujours un coup d’avance sur lui et ses gorilles. Parce que même s’il en avait toujours un à ma porte, c’était toujours plus tranquillisant que d’en avoir un à ma tête de lit. C’était déjà bien difficile de trouver le sommeil comme ça. Et j’ai été bien content quand j’ai reçu le premier des signes qu’on avait convenu ensemble. Ce signe qui me disait que vous aviez rejoint le premier havre, le premier sas de sécurité, là, de l’autre côté de la mer.  
C’est pour ça que ça m’a fichu un coup lundi dernier. Quand j’ai vu repartir un cargo de la Continentale. Que j’ai pensé à toi, à elle. Et que le soir même, je te mens pas, ça a sonné à la porte et elle était là. Elle avait pas changé. Trente ans après, toujours la même. La même tête à problème qu’elle avait quand tu l’as emmenée. J’ai fait ce que je t’avais dit de faire à l’époque. Ce que t’avais pas voulu faire, que tu pouvais pas m’écouter tellement t’étais raide d’elle. J’ai claqué ma lourde et j’ai appelé le marquis, qu’il s’occupe d’elle une fois pour toutes. Trente ans d’emmerdes, il était pas question de payer une journée de plus.

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Musique :
  • Stan Ridgway - Drive She Said

Dessins :
  1. Pays-Bas
  2. Barcelone
  3. Nantes
  4. Wroclaw


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vendredi 20 août 2010

QUATREVINGTHUIT - HORS SERIE #2


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Chaque histoire d’amour est unique. Après tout ce temps il avait encore du mal à penser à lui sans penser à eux. Toujours son visage à elle venait se poser en surimpression sur le sien. Toujours elle venait, non pas contrecarrer ses projets mais les grossir. Car il en était venu à ne plus penser que par elle, pour elle. Et malgré tous les efforts qu’il avait faits pour effacer la moindre trace de son existence de son horizon immédiat, il suffisait parfois qu’il allume simplement la stéréo ou son vieux téléviseur pour qu’elle revienne à la surface.

Un jour récent, il avait regardé un de ces vieux films en noir et blanc avec des stars américaines oubliées aujourd’hui, de celles qui peuplaient les magazines spécialisés et les films de série B. Un de ces vieux films qui racontent des gangsters, un héros qui tente de se racheter en sauvant une fille perdue qui se trouve généralement être, dans le meilleur des cas la copine du caïd et dans le pire, sa poule. Typiquement le genre de film qui lui rappelait douloureusement son histoire.

Chaque histoire d’amour est unique mais la sienne ressemblait furieusement à un film de gangsters américains des années quarante ; la Buick en moins, l’accent forezien en plus. Et il préparait encore le moindre de ses déplacements comme une cavale à deux. Et il décrochait toujours le téléphone plusieurs fois pour s’assurer qu’il n’était pas sur écoute. Et il avait même conservé, après toutes ces années, l’habitude de prendre des chemins à croisements et traverses pour vérifier qu’il n’était pas suivi. Et il choisissait toujours les endroits les plus discrets et les plus sombres pour ses séjours. 

Alors qu’il faut quand même se le dire François. Ça fait quand même trente trois ans aujourd’hui qu’elle est partie le retrouver son caïd. D’une elle ne reviendra plus, de deux il t’emmerdera plus. Faudrait penser à refaire un peu ta vie et profiter du pactole que tu as gardé de côté.







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Musique :
  • Double - Captain Of Her Heart

Dessins :
  1. Wroclaw
  2. Wroclaw
  3. Wroclaw
  4. Nantes


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jeudi 19 août 2010

QUATREVINGTSEPT - HORS SERIE #1


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Antoine a l’habitude de prendre son temps, quelle que soit la tâche qui l’occupe. Oh ce n’est pas quelque chose qu’il fait en conscience. Si vous lui demandez : « pourquoi tu prends tellement de temps pour faire ça ?» — une question que ses amis ont l’habitude de lui poser — il vous répondra — comme il leur répond — qu’il prend le temps nécessaire à faire ce qu’il a à faire. Antoine a l’habitude de ne rien compter. Et si je dis habitude, c’est par commodité. D’une habitude, surtout mauvaise, Antoine aurait su se défaire. S’agissant d’Antoine, je devrais plutôt parler de nature. Comme dans « La nature avait fait d’Antoine un être étranger aux nombres. Non qu’il les ignorât, il ne les utilisait simplement pas. » Et c’est bien là l’origine de tous les malentendus entre Marie, son épouse, et lui...

Car sans être une obsédée des nombres, Marie était à cheval sur les principes. C’était, comme pour Antoine et son absence aux comptes, quelque chose de parfaitement inconscient et de simplement naturel pour elle. Ainsi si Antoine accusait des retards formidables uniquement dus à sa nature qui le faisait traîner au bureau jusqu’à des heures où ceux-ci sont généralement vides, Marie l’accueillait avec une fureur homérique — il faudrait peut-être  s’attarder un instant sur le caractère homérique de la fureur — que seule sa nature lui dictait.

Les voisins de Marie et Antoine étaient les témoins malheureux des disputes qui éclataient sans arrêts entre nos deux amoureux. Parce que, vous vous en doutez, si Antoine et Marie étaient mariés, c’est d’abord parce qu’ils étaient amoureux l’un de l’autre. Mais leurs natures étaient opposées à un tel point qu’il leur était, par nature donc, impossible de s’entendre sur rien. Qu’Antoine revienne du marché et il était immanquablement en retard, il avait trop dépensé et ramené plus que ce qui lui était demandé. Que Marie s’occupe d’organiser leurs vacances et les conditions de voyage étaient si drastiques qu’Antoine ne profitait de rien, devant sauter d’un endroit à un autre sans avoir jamais le temps de souffler.

Leur histoire ne pouvait que finir et je dirais même plus, elle ne pouvait que finir de cette manière : la nature violemment restrictive de Marie la poussa un soir à attraper le rouleau à pâtisserie qu’Antoine avait acheté sur un coup de tête en même temps que trente kilos de farine et cinq douzaines d’œufs. Elle le frappa violemment sur le crâne et se pendit juste après, jugeant son geste parfaitement criminel, comme il se doit. 


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Musique :
  • Elvis Presley - Suspicious Minds

Dessins :
  1. Porto
  2. Nantes
  3. Nantes
  4. Nantes


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