samedi 27 novembre 2010

CENTCINQUANTENEUF


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J'envie follement ceux qui sont partis. Comme j'envie les passionnés pour qui tout est si simple. Ceux qui partent, sans plus aucune attache ou au contraire le sac à dos plein d'adresses où aller en avant et où écrire en arrière. Tenter une autre vie, ailleurs, très loin, ou juste à côté. Mentir pourquoi pas, dire qu'on est là et être ailleurs. Changer.
Je ne rêve plus aujourd'hui en regardant partir les trains ou en suivant les traînées laissées par les réacteurs des long-courriers dans le ciel. Je regarde et continue de trouver ça fou, incroyable, comme un vieux qui serait né sans l'invention de la roue. Mais je ne m'imagine plus jamais dedans.
Pourtant j'envie toujours ceux qui ont fait le choix de partir, partir seul. Et ça, je l'imagine encore parfois. Recommencer quelque chose, autre chose, une vie complètement différente, pas forcément plus passionnante mais juste différente. D'autres visages, d'autres endroits, d'autres métiers, d'autres langues...
C'est probablement pour éviter de trop bouger qu'on a inventé les livres.

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B.O.S.T. :
Dessins :
  1. Bordeaux
  2. Paris
  3. Paris
  4. Toulouse


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jeudi 25 novembre 2010

CENTCINQUANTEHUIT


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Quand la ville dort on dirait qu'elle oublie et qu'on peut oublier avec elle, oublier la folie du jour, sa vitesse, l'absence de joie dans les gestes, l'absence d'attention dans les regards, l'ennui à la place.
Une voiture de police et toute sirènes hurlantes, un marteau piqueur qui déchire le béton. Les gémissements d’un bébé, les hurlements d'un chien errant ; le crissement des freins et des réverbères qui clignotent.
That's Entertainment, That's Entertainment
Du verre brisé et le grondement des bottes, un train électrique et une cabine téléphonique défoncée. Des murs éclaboussés de peinture et le cri d'un matou, les lumières qui s’éteignent et un coup de pied dans les couilles.
Je dis que c'est du divertissement, c'est du divertissement
Des jours à toute vitesse et le lundi à deux à l’heure, pisser avec la pluie quand on s’emmerde le mercredi. Regarder les nouvelles et ne pas dîner, un froid glacial et humide sur les murs.
Je dis que c'est du divertissement, c'est du divertissement
Se réveiller à 6 heures un matin tranquille et chaud, ouvrir les fenêtres et respirer le gasoil. Un groupe amateur répète dans une cour voisine, regarder la télé et penser aux vacances.
That's Entertainment, That's Entertainment
Se réveiller d’un mauvais rêve et fumer des cigarettes, caresser une jeune fille qui sent le parfum bon marché. Une journée d’été chaude et le goudron qui colle, nourrir les canards dans le parc et souhaiter être loin.
That's Entertainment, That's Entertainment
Deux amoureux qui s'embrassent pendant le cri de minuit, deux amants qui ratent la tranquillité de la solitude. Obtenir un taxi et voyager en autobus, lire les graffiti…
Je dis que c'est du divertissement, c'est du divertissement

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Tout à fait exceptionnellement, ce Strip Trip reprend l'intégralité des paroles, librement traduites, de la chanson "That's Entertainment", de Paul Weller pour The Jam, sans l'accord de l'auteur, mais, nous l'espérons, avec sa bienveillante indulgence. 


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B.O.S.T. :
Dessins :
  1. Toulouse
  2. Toulouse
  3. Toulouse
  4. Toulouse

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mardi 23 novembre 2010

CENTCINQUANTESEPT


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Quand j'étais petit je rêvais d'être pilote de chasse. Il y a un livre d'entretien avec Pierre Desproges où il parle de l'enfant d'amis à lui qui vivent en Suisse. Il raconte qu'un jour cet enfant (dans mon souvenir l'enfant est très jeune et très précoce, du genre à savoir lire à trois ans) lui dit qu'il rêve d'être pilote de chasse et Pierre Desproges de lui répondre sur tous les tons que les avions c'est bien beau mais que le pilote de chasse il part à la guerre et que la guerre c'est vilain et l'enfant de lui répondre "La guerre ? En Suisse ?".
Mais moi quand j'étais petit je voulais être pilote de chasse, même si je n'ai pas grandi en Suisse. A part les dieux grecs, et les uniformes des soldats de Napoléon, le seul truc qui m'intéressait c'était de faire des maquettes d'avions de chasse. J'allais voir Top Gun au cinéma une ou deux fois par semaine. Je passais des heures à jouer à tous les simulateurs de vol existants sur mon amstrad 6128. Je m'ennuyais dehors si je ne trouvais pas de quoi m'imaginer un cockpit de F14 Tomcat.
J'exagère un peu là. C'était pas à ce point là. Quand j'étais petit j'aimais bien les dessins animés japonais et les playmobils comme tous les enfants. Mais les avions de chasse remplissaient mes rêves, je n'imaginais pas le futur sans voler à mach 2 loin au dessus des nuages, faisant loopings et immelmanns, jouant au dogfight avec des copains pilotes puisque dans mes rêves il n'y avait pas de guerre, juste des avions. Je relisais encore et encore les vieilles pages jaunies d'un très vieil exemplaire du Grand Cirque de Pierre Clostermann.  
Qu'est ce qu'il s'est passé pour que je me retrouve ici et pas aux commandes d'un Rafale ? J'ai grandi. Oh pas en âge non, en taille. Pour être pilote de chasse, il faut être petit.

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B.O.S.T. :
Dessins :
  1. Nantes
  2. Toulouse
  3. Toulouse
  4. Toulouse

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dimanche 21 novembre 2010

CENTCINQUANTESIX


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Ils se promènent au dessus des rochers au moment où le soleil commence de descendre vers la mer. Des carrelets de pêcheurs à la peinture écaillée rythment leur marche. Ils sont partis main dans la main mais depuis un petit moment il se tient derrière elle, se plaçant sous le vent si bien que son parfum lui parvient mélangé à l'air de la mer. Il tente de les distinguer l'un de l'autre mentalement puis ils finissent par se confondre, tout comme sa silhouette se diffuse dans la lumière du soir.  
Ils trouvent un banc pour se reposer. Ils s'y installent et regardent le soleil disparaître à l'horizon. Elle fixe le large mais lui la regarde elle. Son profil découpé dans la lumière, le soleil qui fait briller son regard, qui illumine une larme qui coule sur sa joue. Elle sourit. Sa larme ne coule qu'à cause du vent froid qui irrite son oeil. Elle se blottit contre lui, love sa tête dans le creux formé par son cou et son épaule, jusqu'à coller son nez gelé contre sa peau. Le froid le pique et la piqûre le fait sourire. Ils restent un long moment comme ça, sans bouger, juste à se respirer.
C'était leur dernière nuit. Dans quelques petites heures ils devront rendre les clefs de la petite maison à sa propriétaire, retourner à la gare par le petit chemin à travers champ, prendre le train du retour, y prétendre ne pas se connaître trop. Il descendra en cours de route, pour prendre un autre train, elle restera dans celui là jusqu'à son terminus. Ils savaient depuis le départ que cette séparation surviendrait, ils auraient pu éviter de venir, s'épargner cette douleur et en garder le désir. Qu'est ce qui fait qu'on passe à l'acte ?
Ils se sont séparés. Pour toujours semble-t-il. Il n'y a pas eu de larmes, au contraire. Ils se sont serrés, très fort, se sont souris, longtemps, se sont regardés dans les yeux pendant tout le trajet qu'ils avaient en commun. Puis maintenant qu'il est seul il continue de sourire en regardant le ciel d'hiver, le soleil qui resplendit sur la plaine gelée. Son odeur est partout sur lui, il la goûte sur ses doigts, et se mélange dans son souvenir le parfum de l'océan qui lui est à jamais attaché. C'est pour ça qu'on passe à l'acte.

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Musique :
  • The Cure - Lovesong
Dessins :
  1. Saint-Michel Chef Chef
  2. Inconnu
  3. Marseille
  4. Toulouse

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vendredi 19 novembre 2010

CENTCINQUANTECINQ


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Antoine aurait dû écouter Jeanne. Comme à chaque fois il se le dit trop tard, maintenant qu'il est rentré. Alors il a posé sa valise. Il n'a même pas pris la peine de la vider, de trier le linge sale du linge propre, de jeter les papiers sales qui emballaient sandwiches et barre chocolatée qu'il a mangés dans le train. Il est rentré, il l'a posée là, au milieu de l'entrée, juste derrière la porte. Il a jeté ses clefs sur l'étagère et raté le saladier posé dessus pour y servir de vide-poche, administré le même traitement à ses chaussures et ses chaussettes, s'est installé dans le salon et a commencé à fumer.
Il a quitté ses amis plus tôt que prévu. Finalement, il n'avait plus envie d'être là avec eux et sans Jeanne. Surtout qu'eux tous sont venus accompagnés. Enfin, pas tous mais les meilleurs d'entre eux pense-t-il. C'est bien pour ça qu'il est rentré. C'est bien pour ça que tout ce qui lui reste c'est fumer le plus doucement possible dans le salon dans l'espoir que le temps passe plus vite d'ici au retour de Jeanne. 
Mais voilà, on s'en doute, si Jeanne n'a pas accompagné Antoine, c'est qu'elle avait très envie de partir avec son amie Chloé et sa bande, notamment un garçon guitariste aux cheveux longs qu'elle trouve très drôle. Antoine, lui, n'a pas voulu accompagner Jeanne parce qu'il avait absolument envie de passer cette semaine de vacances avec ses amis, prétextant que leur présence à tous les deux était impérative. Evidemment, tout ce qu'il voulait c'était que Jeanne ne parte pas avec Chloé et sa bande, notamment un garçon guitariste aux cheveux longs qu'elle trouve très drôle. Surtout lui d'ailleurs. Lui tout court on peut dire. 
Que dire de plus que : le pire qu'il pouvait craindre est arrivé.

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Musique :

  • Pixies - Where Is My Mind
Dessins :
  1. Nantes
  2. Saint-Michel Chef Chef
  3. Saint-Michel Chef Chef
  4. Saint-Michel Chef Chef

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mercredi 17 novembre 2010

CENTCINQUANTEQUATRE


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-"On cherche partout. Il y a une fébrilité proche de l'agacement à chercher quelque chose dont on a besoin. Un agacement accentué par la certitude qu'on a que cette chose sera dans le dernier endroit où on l'aura cherchée."
-"Un agacement décuplé quand ce quelque chose est un quelqu'un et que des traces de sa présence vous narguent partout où vous le cherchez."
-"Et plus la zone de recherche est restreinte, connue, personnelle, plus l'agacement mute en énervement. Et dans ce cas, la fureur n'est jamais loin."
- "C'est pour ça mon Loulou que quand c'est toi qui te perds, je te laisse retrouver ton chemin tout seul."

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Musique :
  1. Nick Drake - Black Eyed Dog

Dessins :
  1. Toulouse
  2. Toulouse
  3. Toulouse
  4. Nantes


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lundi 15 novembre 2010

CENTCINQUANTETROIS


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C'est comme ça que je l'imagine, la fin, assis seul contre un arbre, sur un banc, sur un muret, sous le soleil de la fin de l'été, loin de tout, loin des miens, car seul l'éloignement me les rendrait présents à l'esprit, me donnerait loisir de les observer et surtout les garderait assez loin pour que je fasse tout cela dans une sorte d'absolu de la tranquillité.
L'absolu du vide autour de moi pour appeler l'air de ma vie en souvenirs, boire à grandes goulées toutes mes étapes, les revivre en panoramique, les revivre en son stéréophonique, remplir tout mon espace de ceux que j'ai traversés.
Raviver mes héros et les convier au grand banquet, jouer à me mesurer une dernière fois à eux.
Et dans une grande procession d'inconnus de mon rang, partir, loin, seul, bien.

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Musique :
  • Lee Hazlewood - My Autumn's Done Come

Dessins :
  1. Toulouse
  2. Toulouse
  3. Toulouse
  4. Toulouse

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samedi 13 novembre 2010

CENTCINQUANTEDEUX


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On est tous là, parqués. Ça me fait penser à ces gens qu'on entassait dans des bateaux avec quelques valises et de vieux cartons dans lesquels ils avaient compressé le maximum de leurs biens, "le nécessaire que vous devez emmener avec vous" que stipulaient les notices d'embarquement. Ces gens qu'on forçait à quitter un pays où ils vivaient heureux sans gêner personne et qui soudain ne sont plus souhaités, qui soudain dérangent parce que sur le papier ils ne sont plus comme il faut. Oui, on leur ressemble à ces gens, bannis, apatrides presque, quels qu'ils soient. Tous les mêmes, qu'on oblige à bouger parce que le pays ne veut plus d'eux. 
On pourrait aussi être ceux qui croyaient à l'Amérique comme on croit à l'au-delà, celui de l'annuaire entre l'ailleurs et l'au paradis. Qui se massaient dans les ports auprès des grands vapeurs, les valises aussi maigres que leur rêves étaient pleins, qui abrutis de chômage, qui de pauvreté, qui d'un travail qui tue, qui d'un pouvoir qui enchaîne, qui d'un passé qui le poursuit... Et tous qui s'endorment sur les ponts de seconde, de troisième classe, las d'un voyage qui a déjà trop duré, toujours à pied, souvent en traînant une famille qui multiplie le rêve.
Puis à l'arrivée, de l'autre côté, on regarde en arrière. L'arrière devient le siège de tous les rêves, rêves de ce qu'on a laissé derrière, de ce qu'on ne retrouvera plus, des amis, des familles qui nous croient arrivés dans notre avenir meilleur. On rêve que le meilleur de nous mêmes est resté là bas, au pays. On rêve aux arbres, aux oiseaux, aux parfums de la terre et du ciel quand ici on a plus que le béton et l'asphalte. Ou alors on rêve à nos vieilles rues qu'on arpentait tous les jours quand aujourd'hui on patauge dans la boue. Le pays qu'on a laissé est toujours au passé quand on vit dans celui qu'on poursuivait au futur.
Et l'on se permet encore de toiser ceux qui continuent d'arriver comme si on vivait là depuis toujours...

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Musique :
  • Cesaria Evora - Saudade

Dessins :
  1. Toulouse
  2. Toulouse
  3. La Baule
  4. Toulouse


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jeudi 11 novembre 2010

CENTCINQUANTEETUN


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Quand on partait de bon matin, quand on partait sur les chemins, à bicyclette.
Nous étions quelques bons copains, y avait Fernand, y avait Firmin, y avait Francis et Sébastien, et puis Paulette...
On était tous amoureux d'elle, on se sentait pousser des ailes, à bicyclette.
Sur les petits chemins de terre, on a souvent vécu l'enfer, pour ne pas mettre pied à terre devant Paulette.
Faut dire qu'elle y mettait du coeur, c'était la fille du facteur, à bicyclette.
Et depuis qu'elle avait huit ans, elle avait fait, en le suivant, tous les chemins environnants, à bicyclette.
Quand on approchait la rivière, on déposait, dans les fougères, nos bicyclettes.
Puis on se roulait dans les champs, faisant naître un bouquet changeant de sauterelles, de papillons et de rainettes.
Quand le soleil, à l'horizon, profilait, sur tous les buissons, nos silhouettes ; on revenait fourbu, content, le coeur un peu vague, pourtant, de n'être pas, un seul instant, avec Paulette.
Prendre furtivement sa main, oublier un peu les copains, la bicyclette.
On se disait : "c'est pour demain, j'oserai, j'oserai demain, quand on ira sur les chemins, à bicyclette..."

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Tout à fait exceptionnellement, ce Strip Trip reprend l'intégralité des paroles de la chanson "A Bicyclette", de Pierre Barouh (musique de Francis Lai), sans l'accord de l'auteur, mais, nous l'espérons, avec sa bienveillante indulgence. 
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Musique :
  • Yves Montand - La Bicyclette 
Dessins :
  1. Barcelone
  2. Barcelone
  3. Toulouse
  4. Toulouse

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mardi 9 novembre 2010

CENTCINQUANTE


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C'est encore le soleil qui me réveille ce matin là mais j'ai comme l'impression de n'avoir pas dormi. L'alcool et toutes les autres substances ingérées pendant la soirée ont enveloppé ma cervelle dans un bain de vapeur et mes perceptions sont encore, hum, décalées : aucune douleur et le sentiment puissant de planer sur le temps, de revivre avec une acuité décuplée les événements de la nuit que je fais dérouler encore et encore sans quitter la banquette où je me suis endormi après avoir tout rangé et nettoyé, une fois que tout le monde est parti. Une courbature dans la mâchoire m'apprend que j'ai un sourire crispé sur ma figure.   
Pour faire durer le plaisir, je revis les minutes de la soirée, de la nuit, le soleil courant sur mon corps engourdi, engoncé dans des vêtements mouillés de sueur, suintant l'odeur du tabac mélangé à l'alcool. Je force ma bouche à se détendre mais le sourire ne me quitte pas. Je ne vois qu'elle, chacun de ses gestes, chacun de ses sourires, entends chacun de ses mots que je crois — que je sais ? — à moi destinés. Je repasse en boucle les conversations, les danses, les chansons entendues, j'entends encore et encore ses "je suis tellement contente de t'avoir rencontré", je tourne autour d'elle comme une caméra pour mieux capter son regard, ses intonations, je suis spectateur, acteur, metteur en scène.
Je remonte le temps jusqu'à la première seconde, je reprends encore une fois son manteau quand elle entre, la guide dans le salon où tout le monde est déjà là, lui propose un verre, la laisse rejoindre ceux qu'elle connait. Je ne l'ai, moi-même, jamais vue ; ne connais même pas son nom, jusqu'à cette seconde. Je la regarde encore, entourée de plusieurs garçons, d'un en particulier, mais ne regarder que moi. Elle est là pour un autre, je le sais. Je la regarde encore, assise sur cette même banquette où je me réveille, ses mains dans celles d'un autre, moi posté derrière eux, debout, qui sens sa respiration, ses frémissements, qui scrute la base de sa nuque, l'attache d'une chaîne dorée sur un os qui saille, la couleur de sa peau, le tissu d'une bretelle, la chaleur de son corps, la palpitation du mien.
Je revois encore leur départ, moi qui les accompagne dehors, c'est la nuit mais déjà le matin, la vapeur qui sort de nos bouches, le froid qui saisit tous les visages rougis par l'alcool. La petite troupe qui se presse à l'entrée de la station de métro, les embrassades fatiguées et les promesses de se revoir, vite. Son regard à elle qui paraît avoir peur de devoir se séparer du mien et le sourire qui est né sur mon visage à ce moment précis. Leurs silhouettes qui descendent les marches, la sienne qui disparaît en dernier.

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Musique :

  • Paul Quinn And The Independent Group - Will I Ever Be Inside Of You
Dessins :
  1. Nantes
  2. Nantes
  3. Nantes
  4. Barcelone

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dimanche 7 novembre 2010

CENTQUARANTENEUF


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Il y a des dimanches qui ont des allures hivernales. C'est vrai surtout en province et particulièrement au mois de novembre. Une allure hivernale donne au promeneur provincial du dimanche une bonne idée de ces villes champignons, aussi vite construites aussi vite abandonnées, qui ont poussé aux Etats-Unis lors de la conquête de l'ouest. C'est par un de ces dimanches — était-ce novembre ? — que je suis tombé sur ce visage. Un visage sorti des limbes, que je contemplais à travers la vitre d'un café, qui se mélangeait avec d'autres, autant troublé par la vitre embuée du bistrot que par les circonvolutions de ma mémoire.
Je suis repassé plusieurs fois devant le café où le visage m'était apparu. Il a mis du temps à faire son chemin ce visage, à rebrousser le temps jusqu'au point de jonction, ou plutôt au point de disjonction. Lorsqu'enfin le jour s'est fait, j'ai voulu entrer dans le bistrot pour lui parler mais il n'était plus là, évidemment. On devait définitivement être en novembre, d'autant que je ne me rappelle pas de couleurs particulières. J'ai continué à  marcher, comme tous les dimanches, pendant une bonne partie de l'après midi, arpentant les rues de ma ville que j'aime tant, surtout ces dimanches hivernaux qui les laissent presque vides. 
En rentrant, j'ai eu une idée en passant devant mon bureau. Une idée qu'on peut avoir désormais que notre mémoire n'est plus solitaire mais solidaire. J'ai tapé le nom de cet ami d'outre mémoire dans le moteur de recherche de mon navigateur internet. Jean-Claude M. Il avait été un ami très proche pendant de longues années quand j'étais écolier puis collégien. C'est à ce moment là que la vie nous avait séparés. Pas une rupture violente donc, son visage me serait revenu plus vite en mémoire. Mais une rupture en douceur, moi au lycée, fréquentant de nouveaux amis, lui parti en apprentissage, apprenant le métier de son père, partant, je me souviens, en compagnonnage...
Je n'ai trouvé aucune trace de Jean-Claude sur l'internet. Mais ayant commencé mes recherches je me suis amusé à chercher ce que mes vieux amis étaient devenus. J'ai fini l'après-midi comme ça, au milieu de mes souvenirs de jeunesse, trouvant parfois une trace sur quelque site d'anciens élèves mais à aucun moment il ne m'est venu l'idée de m'y inscrire. Je sais que mon nom est suffisamment connu pour qu'on me retrouve facilement si le désir s'en fait sentir. Je me suis endormi ce soir là au milieu de ces souvenirs, me rêvant à nouveau adolescent, des avenirs plein les yeux. 

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Musique :

  • Morrissey - Hold On To Your Friends
Dessins :
  1. Toulouse
  2. Toulouse
  3. Toulouse
  4. Toulouse

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vendredi 5 novembre 2010

CENTQUARANTEHUIT


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Lundi, 12 heures :
Comme tous les lundis, j'ai déjeuné, tout seul, au Café de Paris. J'ai pris l'andouillette grillée sauce moutarde avec des frites, un demi supérieur et un café pour terminer. Ce midi j'ai observé un client qui se tenait seul au comptoir. Il avait une drôle de façon de tenir son verre, ça m'agaçait. Il le tenait par le pied, sa main complètement refermée sur lui, comme si c'était un petit oiseau et qu'il tentait de l'étrangler. Il discutait avec Madeleine, la patronne, et ça aussi ça m'énervait parce qu'elle riait et d'habitude, Madeleine elle ne rit pas quand elle travaille. 
Mercredi, 19 heures :
En rentrant du travail ce soir je me suis arrêté au coin de ma rue. Je voulais me prendre des kébabs pour le dîner. Il y avait là les deux filles du quatrième étage qui attendaient, dans la rue, juste devant la boutique. Je les aime bien mais je ne connais toujours pas leurs noms. Du coup je n'ai pas osé aller faire la queue avec elles devant le marchand de kébabs. Ça fait cinq ans que j'habite ici, cinq ans que je vais chez lui au moins une fois par semaine pour commander des kébabs et je ne sais toujours pas comme il s'appelle ni comment s'appelle sa boutique.
Samedi, 15 heures :
Je me suis levé après midi. Je me suis couché tard hier, j'ai lu. Je voulais terminer ce roman de Robert Ludlum que j'ai déjà lu dix fois. Finalement j'ai éteint la lumière quand le soleil se levait. Cet après midi j'avais envie de m'aérer un peu alors j'ai sorti mon vélo de la cave. Le pneu arrière était tout dégonflé. J'ai tenté de le regonfler à la pompe mais visiblement il était crevé. Je suis sorti à pied, j'ai fait le tour du quartier, je me suis arrêté devant le cinéma du coin, j'ai hésité devant quelques instants mais rien ne me tentait suffisamment. Je suis rentré. Sur le chemin de mon appartement, j'ai vu les filles du quatrième qui partaient en vélos mais elles étaient déjà  trop loin pour que je leur demande si je pouvais les accompagner.
Lundi, 13 heures :
Je déjeune tout seul au Café de Paris. J'ai pris des rognons de veau avec la purée maison à l'huile d'olive, un verre de Madiran et un café gourmand pour finir. J'ai eu une bonne matinée au bureau alors je me fais plaisir. Au comptoir, le type de la semaine dernière, celui qui tenait son verre bizarrement est revenu. Il a amené un ami à lui et tous les deux ils ne lâchent pas Madeleine qui du coup ne s'occupe plus de rien. Le garçon de café n'a pas l'air d'apprécier, qui fume rageusement sur la terrasse.

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Musique :

  • Léo Ferré - La Solitude
Dessins :
  1. Toulouse
  2. Angers
  3. Toulouse
  4. Toulouse

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mercredi 3 novembre 2010

CENTQUARANTESEPT


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Elle et lui le savaient. Ils le savaient que c'était vraiment comme ça l'amour. En tout cas le leur était comme ça et personne ne pourrait jamais le leur enlever. Cela dit, personne n'a jamais songé à le faire. Mais ils étaient aussi du genre à se faire des idées.
C'est parce qu'ils avaient ce genre d'idées (et ce genre d'amour aussi, le genre d'amour qui provoque d'étranges idées si on se met à croire que tout le monde fait comme vous, imaginez un peu jusqu'où on peut aller avec cette sorte de raisonnement ? Et bien ils y sont allé) qu'ils ont fait ce qu'ils ont fait, comme Dumas le fait écrire à Richelieu sur le sauf-conduit de Milady de Winter.
Ils ont fait quoi au juste? Lui n'en sait rien. Lui, c'est juste un scribouillard qui cherche de quoi alimenter sa feuille à scandale. Il est comme vous, il a flairé l'histoire qui fait couler de l'encre et vendre des exemplaires. Il furète. Mais il ne va pas trouver grand chose. Parce qu'il n'y a pas grand chose à savoir. Une fois que je vous aurai tout expliqué il y a même des chances que vous soyez déçus.
Lui ? Non, lui non plus n'a rien à voir avec cette histoire. Lui, ça doit être un étudiant. Il doit faire des recherches. Le fait divers est un peu connu par ici. Pas de quoi écrire une thèse. Mais il y a des forcenés.
Comment ça eux ? Ah oui, eux, ils se sont entre-tués. Mais vous l'aviez deviné. A force de s'aimer en se tapant dessus, jusqu'au sang, ça devait arriver.  

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Musique :

  • Tindersticks - Jism
Dessins :
  1. Toulouse
  2. Toulouse
  3. Toulouse
  4. Toulouse

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