mercredi 13 octobre 2010

CENTTRENTESIX


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J'ai rencontré ton Grand-Père le soir de mon vingt-deuxième anniversaire. J'étais en vacances avec mes parents en Normandie. Je travaillais, j'étais une des secrétaires du directeur des studios de Boulogne. Mais comme j'étais sans mari ni prétendant, les vacances je les passais avec mes parents. Ils avaient une petite maison à Cabourg, la même maison où j'ai passé toutes mes vacances. Ensuite c'est mon frère qui l'a gardée. Je passais mes journées sur la plage, je lisais, je me baignais. Le soir, on jouait au bridge avec mon frère et mes parents. Parfois, on allait marcher un peu le long de la plage.  
C'est un soir comme ceux-là que je l'ai rencontré. La nuit était tombée, une nuit d'août, il faisait encore chaud. Je me souviens très bien de ce que je portais ce soir là, une jupe à rayures bleues et jaunes, ample, qui descendait comme il faut, au milieu des mollets. La brise la faisait voler et je me rappelle encore du contact du tissu sur mes cuisses nues. En haut, j'avais un chemisier blanc, sans manche, que j'avais noué à la taille pour faire comme les actrices américaines qu'on voyait dans les magazines de cinéma. Il se tenait sur le bord de la jetée, appuyé contre un réverbère. La lumière du lampadaire tombait à côté de lui si bien qu'il était dans l'ombre et que j'étais en pleine lumière. J'ai été seule juste quelques secondes, mes parents étaient quelques mètres derrière moi, avec mon frère.
Il m'a fixée pendant que je passais dans la lumière. J'ai baissé les yeux mais j'ai senti longtemps son regard sur moi, sur toutes les parties de moi. Je crois que c'est ça qui m'a le plus électrisé, ça et son odeur. Il semblait grand, plus grand que moi en tout cas, mais avec l'ombre qui tombait sur lui je ne pouvais pas distinguer ses traits. Son odeur par contre m'a enveloppée comme un brouillard épais, un parfum fort, boisé, très viril. Il nous a suivis pendant un moment, j'entendais ses pas loin derrière ceux de me parents et de mon frère. J'ai jeté une dernière fois un regard dans la rue avant de refermer la porte, quand on est arrivé. Il était là, contre un autre réverbère, de l'autre côté de la route. 
On s'est connu une semaine durant. J'avais déjà connu des hommes avant lui mais de lui j'ai connu le plaisir et j'ai appris que connaissant cela, je pourrais être heureuse, même en vivant seule. Mais je ne suis pas restée seule longtemps puisque ton père est né neuf mois plus tard. Et c'est malheureusement tout ce que j'ai jamais pu lui raconter sur son père. Ça et son nom. 

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Musique :
  • Chet Baker - My Funny Valentine

Dessins :
  1. Corse
  2. Portigliolo
  3. Nantes
  4. Nantes

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