dimanche 1 mai 2011

DEUXCENTSIX


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Quand j'étais écolier — quand j'étais écolier mais aujourd'hui encore j'ai une large propension à penser de même. Quand j'étais écolier, je pensais que tout le monde, tous les enfants, avaient la même vie que moi. Coupé de la multitude, en rase campagne ; coupé du monde des adultes, sans informations alarmistes ou alarmantes, je grandissais paisiblement et n'imaginais pas une seconde qu'ailleurs on puisse grandir différemment, même si je savais qu'on pouvait grandir la tête en bas : j'avais une mappemonde, j'étais naïf, pas stupide. Je pensais que dans toutes les cours d'écoles il y avait des tilleuls alignés et des toilettes sous le préau où on pouvait, en se penchant, tenter de voir la couleur de la culotte des filles. 
Dans la cour de mon école, il y avait trois tilleuls alignés. De grands arbres qui paraissaient immenses pour mon regard de petit. Leurs feuillages épais, d'un vert tendre et presque transparent au soleil ; la blancheur et la largeur de leurs troncs servaient de limite au camp des cowboys (ou des mousquetaires du cardinal quand ils passaient le film à la télévision), cachaient le chemin qui passait derrière le préfabriqué où l'on échangeait des secrets douloureux ou on manigançait des plans machiavéliques pour prendre les indiens (ou les mousquetaires du roy quand ils passaient le film à la télévision) à revers.
On jouait aussi avec leur drôles de fruits. Ces graines rattachées à un sorte d'hélice en feuilles. On les lançait en l'air et elles retombaient en tournant sur elles-mêmes, comme des hélicoptères. On les émiettait dans les cheveux des copains et des copines, ou dans le dos, entre la peau et le sous-pull. On en retrouvait toujours des bouts par terre le long des porte-manteaux. Les porte-manteaux étaient alignés des deux côtés d'une grande pièce qui donnait sur la salle de classe. Au milieu, il y avait deux rangées de lavabos placés face à face, terrain de nombreuses batailles d'eau.
Et quand les batailles dégénéraient un peu trop, on était envoyé chez le directeur. Il fallait passer sous un porche. Le bureau du directeur était dans une aile du bâtiment séparée des salles de classe. Le porche, on le voyait de la cour et on craignait tous de devoir passer dessous. N'empêche que, tilleul ou platane, toilettes sous le préau ou à coté des salles de classe, lavabos à l'entrée ou à l'extérieur, porche ou couloir qui mène au directeur ; dans toutes les écoles il y a des enfants qui grandissent. J'avais raison.

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B.O.S.T. :
Dessins :
  1. ?
  2. ?
  3. ?
  4. ?


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