mercredi 30 juin 2010

CINQUANTESEPT


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Cela faisait deux semaines qu'il pleuvait sans discontinuer. En cette période de l'année la pluie n'avait rien d'exceptionnel mais les averses ne s'arrêtant pas, les habitants de la cité commençaient à perdre patience. A force de marcher courbés, ils se rentraient fréquemment dedans ; à force de rouler tous feux allumés, leurs yeux perdaient de leur acuité. Aussi les rixes devenaient monnaie courante et la police elle même devenait nerveuse. Finalement, la météorologie semblait avoir raison de la raison elle même. C'est dans cette ambiance qu'arriva à El Morocco : Grand Ignacio.
Grand Ignacio tirait son surnom autant de sa taille que de son coeur - façon "dur au coeur tendre", on aurait aussi bien pu l'appeler "mollet" ou "cocotte", il imposait pourtant autour de lui un silence fait d'appréhension voire de crainte. Grand Ignacio sortait de prison. Il avait purgé sans frémir  les trois années que le juge lui avait infligées et, sorti depuis deux semaines, payait une visite au banc de l'accusation en goguette dans son fief. Sorti depuis deux semaines, Grand Ignacio avait sur le visage le reflet des averses qui noyaient la ville : creux et bosses accentués par les ombres menaçantes qu'un nuage noir portait sur eux
Le contraste entre l'absence de lumière dans les rues - de jour comme de nuit, les nuages mettaient un terme à toute velléité d'éclairage naturel - et les néons criards qui habillaient les murs de l'El Morocco forçèrent Grand Ignacio à courber la tête et mettre sa main à plat au dessus de ses yeux pour atténuer la douleur que cette lumière lui causait. Après trois années d'obscurité carcérale, la lumière était devenue son ennemi intime. Le résultat fut qu'à son entrée, les regards qui se posèrent sur lui ne reconnurent pas celui qu'ils avaient poussé derrière les barreaux trois ans plus tôt. Ce qu'ils virent c'était plutôt un nouveau client, un peu voûté, sûrement aveugle.
Ce que Grand Ignacio finit par distinguer, à travers ses paupières plissées sur ses yeux stressés, le rendit tellement malheureux qu'en plus de la lumière qui inondait son visage, des larmes vinrent couler, se mêlant à la pluie qui commençait à y sécher. Comment faire concilier l'image qu'il avait gardée de ses accusateurs avec ceux qu'il avait sous les yeux, tous plongés dans une introspection morbide. Grand Ignacio fit demi-tour, reprit sa moto et rentra chez lui, sous la pluie battante.

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Musique :
  • DJ Muggs - Rain

Dessins :
  1. Mahdia
  2. Mahdia
  3. Mahdia
  4. Mahdia


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