dimanche 1 août 2010

SOIXANTENEUF


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Le monde s'éveille. Il semble que la nuit ait duré plusieurs jours. Les premiers regards qui se risquent au dehors doivent provoquer partout la même impression de se croire encore en train de rêver à un lendemain. Mais non, le soleil est là. La mer roule dans le bon sens. Les nuages qui s'attardent ont la texture d'un vieux drap de coton qui s'effiloche et le bleu du ciel contemple son reflet sombre dans la mer calme. Autour de lui, Gabriel Pinsec regarde le monde comme s'il le voyait pour la première fois. 

Même le nauséabond panaris qui orne le gros orteil de son pied droit et le fait souffrir le martyr lui semble beau. Il a envie de sortir, de courir les rues et de chanter son bonheur, d'aller vers la forteresse de ce satané VonSchrecklich et lui pardonner toutes ses machinations, retrouver Charlette et partir avec elle découvrir le monde et s'en émerveiller avec elle. Et c'est ce qu'il fait. Enfin, sans chanter ni danser mais en courant néanmoins, il se rend aussi vite que possible au repaire du facétieux VonS.
Mais en parcourant la ville il est bientôt retardé par les rumeurs qui bruissent dans les ruelles. Il ralentit pour tenter d'en percevoir l'origine et la teneur mais il semble que de partout lui provient le même murmure continu, comme si chaque habitant de la ville s'était mis à psalmodier dans sa barbe de mystérieuses incantations mystiques et incompréhensibles. Gabriel oblique vers la place centrale de la ville pour en avoir le coeur net.  
Et ce qu'il voit lui coupe toute possibilité de croire au retour du paradis perdu. Non, le monde n'est pas meilleur, car le monde n'est plus. Sur la grande place du centre ville - et partout dans le monde tel que Gabriel Pinsec le connait - il semble que chaque être humain, quelle que soit l'activité à laquelle il se livre : tendre son linge, faire une tarte ou boire un café en devisant avec un ami, oui chaque être vivant sur la planète doit être plongé dans le même état illuminé et chanter la même litanie : "Doktor, Doktor, sauvez moi, donnez moi l'amour et la paix, donnez moi l'air et la vie, VonSchrecklich venez à moi, je suis à vous". Gabriel Pinsec s'effondre à genoux. Le long et épouvantable cri qu'il pousse n'effraye que les quelques pies qui volètent au dessus de lui.

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Musique :
  • The Beta Band - Dry The Rain

Dessins :
  1. Tunis
  2. Tunis
  3. Tunis
  4. Tunis


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