jeudi 19 août 2010

QUATREVINGTSEPT - HORS SERIE #1


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Antoine a l’habitude de prendre son temps, quelle que soit la tâche qui l’occupe. Oh ce n’est pas quelque chose qu’il fait en conscience. Si vous lui demandez : « pourquoi tu prends tellement de temps pour faire ça ?» — une question que ses amis ont l’habitude de lui poser — il vous répondra — comme il leur répond — qu’il prend le temps nécessaire à faire ce qu’il a à faire. Antoine a l’habitude de ne rien compter. Et si je dis habitude, c’est par commodité. D’une habitude, surtout mauvaise, Antoine aurait su se défaire. S’agissant d’Antoine, je devrais plutôt parler de nature. Comme dans « La nature avait fait d’Antoine un être étranger aux nombres. Non qu’il les ignorât, il ne les utilisait simplement pas. » Et c’est bien là l’origine de tous les malentendus entre Marie, son épouse, et lui...

Car sans être une obsédée des nombres, Marie était à cheval sur les principes. C’était, comme pour Antoine et son absence aux comptes, quelque chose de parfaitement inconscient et de simplement naturel pour elle. Ainsi si Antoine accusait des retards formidables uniquement dus à sa nature qui le faisait traîner au bureau jusqu’à des heures où ceux-ci sont généralement vides, Marie l’accueillait avec une fureur homérique — il faudrait peut-être  s’attarder un instant sur le caractère homérique de la fureur — que seule sa nature lui dictait.

Les voisins de Marie et Antoine étaient les témoins malheureux des disputes qui éclataient sans arrêts entre nos deux amoureux. Parce que, vous vous en doutez, si Antoine et Marie étaient mariés, c’est d’abord parce qu’ils étaient amoureux l’un de l’autre. Mais leurs natures étaient opposées à un tel point qu’il leur était, par nature donc, impossible de s’entendre sur rien. Qu’Antoine revienne du marché et il était immanquablement en retard, il avait trop dépensé et ramené plus que ce qui lui était demandé. Que Marie s’occupe d’organiser leurs vacances et les conditions de voyage étaient si drastiques qu’Antoine ne profitait de rien, devant sauter d’un endroit à un autre sans avoir jamais le temps de souffler.

Leur histoire ne pouvait que finir et je dirais même plus, elle ne pouvait que finir de cette manière : la nature violemment restrictive de Marie la poussa un soir à attraper le rouleau à pâtisserie qu’Antoine avait acheté sur un coup de tête en même temps que trente kilos de farine et cinq douzaines d’œufs. Elle le frappa violemment sur le crâne et se pendit juste après, jugeant son geste parfaitement criminel, comme il se doit. 


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Musique :
  • Elvis Presley - Suspicious Minds

Dessins :
  1. Porto
  2. Nantes
  3. Nantes
  4. Nantes


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