vendredi 3 septembre 2010

CENTDEUX


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Il était une fois la plus belle des petites poupées de bois qui habitait dans une vieille boutique de jouets. Elle avait tout ce dont une petite poupée de bois a besoin pour être heureuse : des cheveux noirs bien peignés, une robe d'un rouge vif avec des pois blancs, des bras et des jambes taillés et polis dans un beau bois clair, une seule chose lui manquait pour achever son bonheur, un visage. Son créateur avait voulu bien des fois réaliser un visage à la hauteur du reste de sa silhouette mais n'était jamais parvenu à se décider à tracer des traits définitifs sur cette si jolie petite poupée. C'était comme si tracer une bouche, des yeux, les contours d'un nez, avait figé pour toujours sa création. Avec le temps, il avait finalement réalisé que c'était comme ça qu'elle était belle. Chaque jour il pouvait l'imaginer sourire d'une manière différente, d'une manière qui lui plaisait différemment. Ainsi lui la trouvait merveilleuse et en était très fier et elle se trouvait sinon laide, du moins incomplète. Une incomplétude qui la rendait malheureuse.
Elle se plaignait souvent auprès de son créateur, un vieil homme qu'elle appelait papa par commodité mais aussi avec beaucoup d'affection. Elle lui en voulait de ne l'avoir pas terminée comme il avait terminées toutes les autres poupées de sa boutique. Cependant le vieil homme avait beau la voir malheureuse et suppliante, il ne pouvait se résoudre à lui accorder ce souhait. Lui en faisait un autre, souhait, de son côté. De ces souhaits qu'avait fait avant lui quelque autre créateur de poupées, de ces souhaits qui donnent vie aux jouets. Mais il gardait secret ce rêve et professait à sa petite poupée préférée tous les mots de réconfort qu'un père propose à sa fille pour la rassurer. Il la couvrait de cadeaux comme des nouvelles tenues ou de nouvelles amies ou de nouveaux jeux pour qu'elle s'amuse avec les autres poupées mais rien n'y faisait. Notre jolie poupée était toujours malheureuse. Et l'on sait par habitude ce que le sort réserve aux petites filles malheureuses. On ne sera alors guère surpris de ce qui arriva à la plus jolie des petites poupées de bois.
Elle était tellement malheureuse que cela se voyait comme le nez au milieu de la figure, si j'ose dire. Il y avait dans la boutique deux poupées malveillantes, deux petits lutins bossus que le vieil homme avait fabriqués en pensant à Polichinelle. Il y avait tellement pensé qu'ils lui ressemblaient en caractère, insolents, méchants et bêtes. Ils décidèrent de se moquer un peu de cette "plus belle de toutes les petites poupées de bois" et une nuit, après s'être emparés des couleurs du maître, ils grimèrent la jolie petite poupée de bois, peignant sourcils épais, yeux difformes, nez en patate et bouche de travers. Les coups de pinceaux réveillèrent la petite poupée qui sentit très vite les changements sur son visage. Croyant d'abord que son créateur avait fini par céder à ses plaintes répétées, elle pleura, pleura et pleura encore de joie et de bonheur, ravie de sentir pour la première fois des larmes couler de ses yeux. Puis elle couru se regarder dans la vitre de la porte d'entrée de la boutique. Ce qu'elle vit la fit hurler de désespoir. Persuadée que son maître ne l'aimait plus et l'avait punie,  elle quitta sa boutique pour toujours, n'emportant rien avec elle. 
Elle marcha dans les rues désertes de la ville, insensible à la nuit noire qui l'entourait. Marchant, elle finit par sortir de l'enceinte de la ville et, suivant les routes de campagne, elle arriva à une petite ferme qui s'éveillait pour commencer les travaux des champs. Elle décida de s'y arrêter pour se reposer, réfléchir. Elle trouva une botte de paille à l'entrée d'une étable pour s'allonger et s'endormit presque aussitôt. Au matin, alors que le soleil commençait à chauffer son visage souillé, elle fut réveillée par la voix d'une petite fille qui la tenait dans ses bras et lui chantait une chanson. La petite fille l'avait changée et avait nettoyé les coulées que ses larmes avaient faites dans la peinture encore humide. Elle avait redessiné au crayon des traits simples pour signifier deux yeux en amande, de fins sourcils de jeune fille, un petit nez retroussé et la plus jolie des petites bouches dont une petite poupée de bois aurait pu rêver.

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Musique :
  • WU LYF - Split it Concrete Like The Golden Sun God

Dessins :
  1. Collodi
  2. Lucques
  3. Collodi
  4. Collodi
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