samedi 18 septembre 2010

CENTDIXSEPT


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Je n'aime pas les salles d'attente. Moi j'aime bien être tout seul pour attendre. Dans les salles d'attente, tout le monde attend, tout le monde a déjà attendu, les salles d'attente suintent l'impatience et l'angoisse comme les salles d'entraînement des boxeurs suintent la sueur et la testostérone. Si c'était possible, il faudrait qu'on puisse attendre tout seul dans son coin, dans un endroit à l'écart, où je pourrais être tout seul à attendre. Je le fais bien sûr, je vais au bistrot du coin, je fais semblant d'attendre quelqu'un, je fais semblant de lire un livre et je lève mes yeux sans arrêt, dès qu'une silhouette passe, pour voir si ce ne serait pas celle que j'attends, pour de faux. Puis quand c'est l'heure de mon rendez-vous, je m'y rends, dans l'espoir de couper à la salle d'attente. Mais généralement, on est en retard, on ne peut pas me prendre tout de suite, veuillez patienter par ici s'il vous plaît. La porte s'ouvre...
Et ils sont déjà une dizaine à attendre, un rendez-vous après le mien. C'est déjà quelque chose de pénible quand il s'agit du médecin ou du dentiste mais dans mon métier, les files d'attente représentent presque cent pour cent de mon travail sur le terrain. Cette fois-ci, c'est une pièce de théâtre. Ils remontent une nouvelle version de la Ménagerie de verre de Williams. C'est drôle, Tennessee Williams il passe quinze ans dans la poussière et puis soudain tout le monde en veut un dans sa saison. Ça dure deux ou trois ans puis il retourne au grenier pour quinze ans. Pour celle-là, je suis retourné voir dans mes vieux cartons ce que j'avais fait à la dernière saison des Williams. J'en ai trouvé deux ou trois pas mal, j'ai retravaillé les idées, tout à la palette graphique. Il faut adapter le boulot aux nouveaux outils.

Et j'étais là, à attendre avec les acteurs qui passaient les auditions. Ça sentait l'amateurisme, la jeune troupe qui s'étoffe, le metteur en scène cherchait son couple vedette. Je restai à l'écart, mon carton à dessins sous le bras. Je regardai les visages, détaillai les courbes, décryptai les regards. Je m'amusai à leur faire dire quelques tirades qui me restaient en mémoire, à les placer dans des postures que j'avais esquissées sur une ou deux idées d'affiches, j'en habillai certains, certaines surtout, des tenues que j'avais dessinées. Quand on attend au milieu d'autres qui attendent, il faut bien tromper son ennui d'attendre à plusieurs. Rétrospectivement,  j'étais content d'attendre au milieu de candidats au casting d'un Tennessee Williams plutôt que celui d'un Ionesco, d'un Beckett ou d'un Claudel... 
Quand finalement ça a été mon tour, je me suis présenté. Je suis resté trente secondes. Je n'ai même pas parlé au metteur en scène. A priori, le livret de Tennessee Williams avait été adapté en chansons et ballets modernes. J'entendais, venant de la scène, une mélodie au piano et une voix aigrelette qui chantait des banalités. Je suis sorti sans attendre.

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Musique :
  • Sonic Youth - Superstar (Carpenters Cover)

Dessins :
  1. Nantes
  2. Angers
  3. Angers
  4. Angers


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