mercredi 1 septembre 2010

CENT


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C'était la première fois qu'elles partaient en vacances ensemble. Elles avaient choisi l'Italie parce qu'elles rêvaient toutes les deux de découvrir ce pays. Elles auraient préféré le découvrir chacune de leur côté au bras d'un compagnon doux et aimant mais elles n'avaient pas de compagnons doux et aimants ; et elles avaient un mois de vacances à partager. Elles avaient choisi le camping parce qu'elles n'avaient pas beaucoup d'argent et depuis deux jours qu'elles étaient arrivées à Gênes, première étape de leur périple, elles regrettaient déjà toutes les deux, sans se l'avouer, d'avoir choisi de partir ensemble.
Partager ses cours, partager quelques secrets pas vraiment intimes, partager ses amis, parfois partager un lit fait croire que l'on pourrait tout partager mais partager le quotidien d'une tente, la curiosité d'un pays que l'on désire plus que les autres, ni l'une ni l'autre n'avait envisagé que cela pût être aussi difficile. C'est pourquoi, sans trop se donner de raisons mais ravies d'être d'accord pour la première fois depuis leur départ, elles se séparèrent pour vivre la journée chacune de son côté, dès ce deuxième matin. L'une partit vers le vieux port, l'autre vers le cimetière de Staglieno qu'Hemingway tenait pour une des merveilles du monde. Ce qui doit être vrai puisqu'il l'a dit.
La première eut les déconvenues suivantes : elle perdit le plan de la ville, ainsi que l'argent qu'elle avait pris avec elle et son déjeuner - un sandwich au salami, deux tomates pas très mûres et une barre aux céréales achetée à la frontière - qui se trouvaient tous dans son sac à dos. Il lui semble, à chercher dans ses souvenirs, qu'elle l'a oublié dans la navette qui l'emmenait du camping vers les portes de la ville. Elle chercha à demander son chemin mais ne réussit qu'à se rendre ridicule auprès d'une bande de gamin qui s'amusèrent ensuite une bonne partie de la matinée à la suivre, perdue, à travers des rues qu'elles prenait, la plupart du temps, plusieurs fois de suite sans s'en rendre compte. Elle cassa la lanière en toile d'une de ses sandales, ce qui eut pour résultat de provoquer une grosse ampoule au bord du petit doigt du pied auquel pendait la sandale. 
Elle finit par trouver un chauffeur de taxi qui parlait un peu le français et qui accepta de la reconduire au camping et qu'elle dut payer un prix exorbitant. Ce n'est que tard le soir, à l'heure où les tentes dormaient, que rentra son amie. Elle faisait semblant de dormir pour qu'elle soit obligée de faire le moins de bruits et de mouvements possible pour s'installer et surtout pour éviter toute confrontation entre son histoire et le succès qu'avait dû être sa journée à elle. Et la deuxième accueillit avec félicité ce silence. Cela lui évitait de partager le cauchemar qu'avait été cette même journée. Elle s'allongea sur son sac de couchage, toute habillée, sale, ayant juste retiré ses lourdes chaussures de marche qui lui avaient meurtri les pieds et les chevilles et qui semblaient peser quelques centaines de kilos. Elle s'endormit en quelques secondes.

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Le lendemain, après s'être mutuellement vantées de leurs journées respectives, elles prirent le train pour Lucques, deuxième étape de leur périple, et décidèrent que ce serait plus simple et sûrement plus amusant de profiter du reste du voyage ensemble.




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Musique :
  • The Papas Fritas - The Way You Walk

Dessins :
  1. Gênes
  2. Gênes
  3. Gênes
  4. Lucques



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